16 avril 2014

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Vivre et laisser Gattaz


« Il vaut mieux quelqu’un qui travaille dans une entreprise avec un salaire un peu moins élevé que le SMIC, de façon temporaire et transitoire[1], plutôt que de le laisser au chômage ». 
Pierre Gattaz, président du MEDEF, 15.04.2014

Le fiston à papa est bien parti pour devenir la star du blog. Nous avons déjà parlé de la baisse du SMIC  ici ou . Résumons notre position : "non mais sincèrement, vous croyez deux secondes que l'économie peut décoller en payant moins les gens ? (alors que l'on pourrait ponctionner sur les actionnaires, les fraudeurs du fisc, les rentiers qui, eux, ne se sont jamais aussi bien porté et ne font pas circuler le pognon)". Nous avons d'ailleurs théorisé cette équation complexe et vous la livrons en exclusivité : 

4 = 2 + 2. 

Nous espérons que les économistes "hétérodoxes" (mais pas de gauche) reçus à L'Elysée (le même jour que la sortie de Gattaz, le monde est bien fait) par François Hollande discuteront de mes calculs audacieux


Bon. Reconnaissons à Pierre Gattaz un vrai plus produit : en sus d'expliquer sans détour avec cet air d'enfant de chœur assistant à son premier gang-bang la logique sous-tendant l'époque, sans le vouloir le patron du MEDEF introduit mieux que personne un débat philosophique au cœur de l'information continue (et c'était pas gagné). En partant du principe que le temps est la seule valeur incontournable et commune (limitée pour tous et non récupérable) :

Vaut-il mieux travailler pour rien et, donc, enrichir un autre que de ne pas travailler et s'enrichir soi ?

Il ne s'agit pas d'être pour ou contre le salariat là n'est même pas la question, mais d'être pour ou contre l'esclavagisme, ce que devient peu à peu le monde du travail au SMIC et à sa périphérie. C'est insidieux, tapissé de promesses, de croyance, de morale, de crédits à la consommation, mais ça se dessine : un sous-monde du travail précarisé (va vivre, te loger et te nourrir avec un SMIC mon Pierrot et on en reparle), coincé, écœuré et assommé (ceux que Jean-François Copé qualifiait de "minables"), et un autre monde du travail structurant, enrichissant dans tous les sens du terme, celui des revenus confortables surreprésentés dans le débat public. En gros, tout ce qui est entre 1500 et 4000 euros est programmé pour disparaître (la baisse des cotisations patronales sur le SMIC va renforcer ce mouvement).

Il convient de définir le travail en question, sa pénibilité, ce qu'il a demandé comme sacrifices, le plaisir que l'on peut y trouver et surtout de mettre ces critères face au déterminant principal : que me rapporte vraiment ce travail ? En quoi m'épanouit-il réellement ? Que me laisse-t-il ? (indice : en cas de doute, l'unique "valeur travail" à considérer est celle de la rémunération)

Non parfois, pour ne pas dire tout le temps, il vaut mieux ne pas travailler que travailler pour rien. Pour notre jeune audience, cible des propositions de Gattaz, nous avons mis en karaoké cette relation de cause à effet : 

"Si j'arrête de leur tendre mon fessier, ils arrêteront d'me le fouetter. Oué." 
(à fredonner sur J'me tire de Maître Gims).

La majeure partie de la confusion vient du fait que dès que ces sujets sont abordés dans les médias, l'espace de discussion est squatté par des prédicateurs professionnels de la compétitivité dont les fiches de paye ou les rentes culminent loin au-dessus des réalités sociales de ceux qu'ils accusent de trop coûter en travaillant. Nos érudits ramènent systématiquement le débat à deux notions : celui qui ne travaille pas est mauvais pour la société, mais manque de bol le travailleur, lui, n'est jamais assez performant pour le pays. Nos prédicateurs n'ont évidemment ni les salaires, ni les grilles horaires, ni les angoisses, ni l'espérance de vie de ceux qu'ils s'acharnent à culpabiliser.

Nos économistes devraient y songer lorsqu'ils élaborent des plans sur l'avenir de la France. En quoi est-il encore utile (pour soi) de travailler (pour le profit des autres) quand l'interface qui fait lien social et constitue le moteur de la consommation (le salaire à bibi) est une insulte se doublant d'une absurdité arithmétique ?

[1] jusqu'à ce que le jeune quitte son statut de jeune à l'âge de 30 ans et, de fait, sa place dans l'entreprise.

Illustration : Big Lebowski, Coen bros (1997)

2 comments:

Toutatis a dit…

trop cool cet "économiste hétérodoxe"

http://www.agoravox.tv/tribune-libre/article/2005-quand-elie-cohen-etait-36825

Unknown a dit…

Du très grand SebMusset ! Ce post rejoint les tous meilleurs de ce blog sur tous les plans !

A noter que les remarques extirpées de ce joyau blogué, et parfaitement justes suivantes :

- En partant du principe que le temps est la seule valeur incontournable et commune (limitée pour tous et non récupérable)

- Il ne s'agit pas d'être pour ou contre le salariat là n'est même pas la question, mais d'être pour ou contre l'esclavagisme

- il vaut mieux ne pas travailler que travailler pour rien

- Nos prédicateurs n'ont évidemment ni les salaires, ni les grilles horaires, ni les angoisses, ni l'espérance de vie de ceux qu'ils s'acharnent à culpabiliser.

Contiennent tous les éléments, dans un léger désordre, de la Théorie Relative de la Monnaie.

Un simple calcul plus loin, du type de 4=2+2 permet d'arriver à son résultat final.

En vérité le choix d'un système monétaire libre NE PERMETTRAIT PAS à des privilégiés d'annoncer ainsi n'importe quoi sur la monnaie des autres, car cette monnaie ne serait pas émise par eux en premier.

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