16 avril 2007

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LES LEZARDS

Depuis qu'il sait qu'il doit quitter les lieux, la terrasse est à l’abandon. Les longs épicéas qui l’isolaient du village bourgeois qu’il surplombe avec un gai dédain qui ne se sera jamais démenti, sont presque tous renversés. Ils agonisent entre les éclats de pots cassés et les monticules de terre éparpillés sur les caillebotis branlants où s'aventurent quelques lézards, une famille me dit-il. L’endroit est poussiéreux, parsemés ça et la de pages jaunies des exemplaires de Libération volés les semaines passées.

GRAND FRANÇOIS
Chaque jour, je vole deux euros en supermarché, c’est mon devoir de citoyen.

La discussion est à l’image de l’endroit : une terre brûlée sans espoir de repousse. Que peut-on effectivement espérer du moment ? Au bout de la période de latence que le pays traverse jusqu’au scrutin de dimanche prochain y a t’il vraiment un espoir ? Bizarrement, les propos eugénistes de Sarkozy, les nouvelles ratonnades policières, l’humour « au karcher » de Rachida Dati, aucune polémique n’accroche. Les médias sont au pas et le peuple, après valse hésitation, s’en retourne sur ses acquis, chacun dans son camp et la haine pour tous. Comme il y a cinq ans, la donne se résume ainsi : un français de gauche pour trois de droite dont deux d’extrême.

La parole pas plus que la raison ne sont utiles dans une société à l'indécence vulgaire. Les tranchées séparant les Français riches de ceux pauvres, salariés sous contrats et précaires esclaves, actionnaires et larbins de rentiers, propriétaires de résidences secondaires et allocataires Rmistes survivants en caravane, fonctionnaires aux trente-deux heures et stakhanovistes des heures supplémentaires, « français de souche » méprisés et « immigrés de troisième génération » toujours pas intégrés, partisans du dialogue de raison et croyants aveugles de tous horizons, communautaires et républicains, l'élite et la plèbe se ravinent jusqu’à l’abîme. L’abcès barbare a besoin de vider son pus. Il faudra y passer. Comme à chaque période violente qu’a du traverser ce vieux pays, le peuple essoufflé soupire en silence : qu’on en finisse vite. Certains, la plupart, entendant le mot « rupture » y voient un « nouveau départ », d’autres y devinent un aboutissement, la finalité de toute démocratie : le totalitarisme.

Cet après-midi, un seul mot peut résumer la France de demain : Apartheid.

Et quand bien même, un sursaut de raison secourait le peuple ; nous savons tous, inconsciemment ou pas, que ce pays attend sa « rupture », la vérification du slogan du chef de file de la barbarie en marche. Le peuple veut toucher la flamme nationale, au risque de se brûler. Le peuple veut savoir si, vraiment, tout est possible. Alors, profitons de ce soleil imprévu comme de cette démocratie accidentelle à l’échelle de l’histoire de l’humanité. J’enlève mon tee-shirt et nous poursuivons l’interview. J’enclenche une deuxième cassette dans la caméra. Je ne sais à quoi tout cela me servira. J’écoute là, cet après-midi sur le vieux banc en tek défoncé sur la terrasse au glorieux passé, le testament d’un siècle évaporé.

GRAND FRANÇOIS
Mes lézards me manqueront.

1 comments:

Unknown a dit…

Bravo Seb, tu sais ce que j'en pense (ritoyenne par mail).

Bisou.

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