16 décembre 2017

La communication téléphonée et consensuelle de Jean-Michel Blanquer

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Dans la galaxie des ministres de Frère Emmanuel reconnaissons l’habileté du ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, dont le timing et le contenu de la prise de parole sont au diapason des attentes médiatiques. Malgré sa ligne « en même temps » libérale (l'école ce sera mieux demain) et réactionnaire (l'école c'était mieux avant), l'ex-boss de l'ESSEC avance en esquivant le conflit, mieux, en générant du consensus. Quitte à se répéter, il bat la cadence d’un agenda média en rassemblant sur du « bon sens ». Exemple : sa récente prise de position sur l’interdiction du portable à l’école qu'il nous ressort pour la troisième fois en huit mois. En mars 2017, Macron dans son programme promet d’interdire le portable à l’école. En septembre 2017, Blanquer déclare dans L'Express qu’il veut interdire le portable à l’école. En décembre 2017, Blanquer réaffirme, cette fois-ci sur RTL, qu’il va interdire le portable à l’école.


Blanquer ne s'y trompe pas, comme pour le retour des chorales (qui ne sont jamais parties) et de l'uniforme à l'école, cette thématique de proximité est à la fois la garantie de bonnes ventes pour les quotidiens et de bonnes audiences pour les talk-shows qui mettront le sujet en Une. De la gauche à l’extrême droite, l’écrasante majorité des Français est pour cette interdiction. Le sondage Ifop du 14 décembre confirme que 94% des Français sont favorables à l'interdiction du téléphone portable à l'école. Comme souvent avec les sondages, tout est dans la question. On demanderait aux mêmes  : "Laisseriez-vous aller votre enfant seul à l'école sans téléphone portable ?" et on obtiendrait  le même score de 94% de "Non". Tout le monde semble s’accorder sur le fait que c’est à l’école de corriger des comportements et des pratiques non-corrigées, subventionnées, voire encouragées par la famille.

L’arbre du bon sens qui cache la forêt de la réforme

Nul n’est censé ignorer la loi et surtout pas un ministre. L’interdiction du téléphone portable dans les classes existe depuis 2010 (Art. 183 de la loi 2010-788 du code de l’Éducation). Dans sa quête pas très discrète du consensus, l'ami de l'institut Montaigne aurait pu tout aussi bien interdire l'usage ou des armes ou de la drogue à l'école.

En l'état, appliquer cette interdiction du téléphone est impossible. Les enseignants n’ont pas le droit de fouiller les élèves et le taux d’encadrement dans les écoles françaises est le plus faible des pays de l’OCDE. Il faudrait donc employer massivement du personnel dédié, bref engager des vigiles du privé puisque les mêmes gouvernants nous rabâchent qu’il y a trop de fonctionnaires. Comment justifier que l’on engage massivement pour l'école des personnels qui n’ont à priori rien à voir avec l’enseignement ou même l'univers scolaire alors que le nombre de postes proposés en 2018 aux concours des enseignants baisse dans toutes les matières, jusqu'à 25% dans certaines [1] ?

Si l’on opte pour une détection automatisée, il faudrait donc installer des portiques de détection à l’entrée de chaque établissement scolaire et que chaque élève passe en ligne comme à l’aéroport. Pour un bahut de 600 élèves avec début des cours à 8h, cela impliquerait une arrivée à 6h. Les parents veulent-ils vraiment ça ? Se pose également la question de la consigne et de la gestion des téléphones avec construction (et entretien) de casiers individuels. Là aussi : qui, comment, combien ? Interdire le téléphone à l'école va coûter cher, très cher.

Alors quelle est la raison d’un tel barnum médiatique autour d'une interdiction incantatoire et inapplicable (à moins d’entamer de grands frais à l’encontre des dogmes de rigueur), le tout pour une question qui tient plus de l'éducation à la maison que de la législation scolaire ? Pour ne pas trop s'attarder sur une ligne idéologique qui pourrait fâcher : privatisation rampante de l’Éducation nationale, disparition du bac, mise en concurrence des établissements scolaires et, indirectement, en favorisant les dysfonctionnements sur le terrain, l'accompagnement du business en pleine croissance du soutien scolaire payant et des écoles privées.

Parce que oui l'école va mal : elle n'est pas assez rentable pour beaucoup de monde.

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