21 décembre 2012

Le jour où le journalisme s'est (encore) arrêté

par

Première de ces "manifestations irrationnelles ne reposant sur rien": 
faire la Une d'un grand quotidien d'information. 

19 décembre 2012

Oui, barrez-vous ! (et fermez la porte en sortant)

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Il est venu le temps des pâtés de râles. 

Les entends-tu ? Ouin, je paie trop d’impôts ! Ouin, on critique la réussite ! Ouin, les gens sont méchants ! Ouin, on m'aime pas parce que j'ai trop d'argent ! En quelques mois, La France est devenue une contrée de pleureuses où le poids des larmes et le choc des trémolos sont médiatiquement proportionnels à l'importance du compte bancaire. 

Les patrons chialent. Les grosses fortunes se lamentent. Ces seigneuries, acteurs pétomanes multimillonnaires, rendent leur passeport sous les courbettes de journalistes ou chroniqueurs qui en feraient bien de même s'ils avaient l'once d'un centimètre cube de courage ou de talent pour aller exercer ailleurs (aux mêmes tarifs). 

Soyons justes: les classes moyennes grognent aussicomme toujours, et devine quoi : c'est encore la faute des autres, jamais la leur. Les seuls que l'on entend pas dans ce concert des rancoeurs, ce sont ceux qui en prennent vraiment plein la tronche, ceux vivant sous le seuil de pauvreté qui n'ont ni le temps ni les relais pour nous jouer le requiem des abusés depuis 6 mois.

Oui 6 mois.  Car, bizarrement et même s'ils précisent souvent qu'il n'est point question de politique, ces pleureuses supportaient bien mieux l’avènement d'un Sarkozy ou les 12 années de chiracquie précédentes que le dernier semestre socialiste. Au détour d'une niche fiscale sur le personnel de maison rabotée ou d'une restriction budgétaire sur leur dernière émission, nos meurtris découvrent la soudaine douleur de vivre dans un pays détestableles gens sont tendus. Scoop !

Pourtant je les comprends. Ce sentiment d'être à l'étroit dans un pays irrespirable et pas aimable  (qui s'il égalait le taux d'armement par habitant des Etats-unis pulvériserait probablement ses scores annuels de morts par balle), je l'ai bien connu de 16 à 36 ans. A vrai dire, après être passé par tous les stades de la colère, c'est ce qui m'a poussé à écrire.

Regarde donc ce qui est marqué sur la 4e de couverture de mon premier livre, écrit en 2005 (disponible ici à un prix dérisoire, noël approche):

"Tous unis les uns contre les autres au bord du ravin de la barbarie. C'est de l'air de son pays dont il souffre.... Son pays est devenu irrespirable." 

C'est beau comme du David Abiker.

Seulement voilà: pleurer ne suffit pas. La nouvelle antienne des maussades, c'est d'inviter les jeunes à se barrer d'une France "invivable". Pas vraiment un nouveau discours, ce dernier ayant de curieuses correspondances avec celui, culpabilisant, prôné depuis vingt ans sur nos écrans et voulant que les Français soient à l'éternelle traîne des autres pays dans tous les domaines.

Ça tombe bien. Comme je suis décidément en empathie, mais avec un quinquennat de décalage, avec nos pleureuses aigries: j'ai testé pour vous l'exil. Tel un disciple de l'Ifrap, en rage contre une patrie dont j'estimais qu'elle ma gâchait et, incité par la propagande du moment qui avant le modèle allemand vantait l'anglais, je suis allé voir ailleurs si l'herbe était plus verte. Je quittais, jurant que l'on ne m'y reprendrait plus, un pays gris aux rêves impossibles, une France à jamais condamnée à Drucker le dimanche et aux 35 heures le reste de la semaine. 

(C'est l'objet de mon 2e livre, disponible ici, non vraiment j'insiste: noël est imminent). 

Qu'ai-je conclus au terme de ce périple chez ceux qui semblaient à l'époque avoir "tout compris" juste parce qu'ils n'étaient pas nous ?
- Que l'Exil, sur ses seules raisons, n'a aucune imagination.

- Que dans cet ailleurs idéalisé, le schéma se redessine imperturbablement comme ici, avec des variantes mais souvent en plus violent, avec des pauvres d'un côté et de l'autre des riches qui leur font la leçon. 

- Que, re-scoop, ailleurs il y a des choses bien et des choses moins bien. Que le pays parfait n'existe jamais.

- Que le bonheur est d'abord là où sont les siens.

- Qu'un pays n'est que la somme des individus qui le compose. Que j'avais beau me considérer jusque-là sans nation fixe, je ne m'étais jamais senti aussi français que hors de France.

- Que ce n'était pas mon pays qui était exigu et invivable, mais moi. Qu'il fallait d'abord se changer soi avant de vouloir changer son environnement.

Pour en avoir discuter avec beaucoup de gens qui ont expérimenté l'exil, ou vivent encore à l'étranger, nous en arrivons à la même conclusion: Les Français manquent effectivement d'ouverture sur les autres pays et fantasment du coup énormément en négatif ou en positif sur les "modèles" étrangers. Un seul remède: il faudrait que chaque jeune, dans le cadre de ses études, puisse partir et travailler un an hors de France. Apres nous rediscuterions à tête calmée de la France  "invivable" (cache-sexe pour "économiquement pas assez libérale").

Que toutes nos pleureuses à 20K Euros mois, nos prophètes du déclin grassement payés pour rabâcher d'une onde à l'autre que nous le sommes trop, tous ces ce-pays-est-foututistes n'ayant  pour eux qu'un individualisme carnassier et des tombereaux de pessimisme pour les autres, ceux aussi qui te vendent de l'identité nationale d'un côté et de la culpabilité d'être français de l'autre, bref que ces dealers d'angoisses contradictoires à cynisme redondant appelant nos compatriotes à se barrer partent en premier et aillent voir là-bas si nous y sommes. 

Que la patrie compatissante avec leurs intolérables souffrances leur affrète des charters. On se débrouillera sans eux. Va savoir, on respirera peut-être même mieux. 

Moi je reste. J'ai appris à aimer les 35 heures, vise désormais les 32. Et Drucker n'est pas immortel.

Alors oui, je croise plus d'un abruti par jour qui me désole de vivre ici et il y a encore tant de choses pour lesquelles il faut se battre jusqu'au bout (logement et répartition des richesses pour n'en citer que deux), mais ce n'est rien rapporté à l'ensemble des gens vifs, érudits, enthousiastes, généreux que je rencontre, avec qui je vis, et la somme de ce qu'eux et leurs prédécesseurs ont construit avec du courage, de la sueur et du génie, une somme qui n'a pas de prix et qui s'appelle un pays.

J'essaye d'être bien en France, il reste du chemin, mais le plus gros a été fait depuis ce jour où j'ai décidé de ne plus avoir peur. 

16 décembre 2012

Vivre et penser comme la droite: le cas Depardieu

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Arrêtez-tout :  Gérard n'est plus français !

L'acteur Gérard Depardieu aura finalement tranché dans ce fameux débat sur "l'identité nationale" qui angoissait le camp politique pour lequel il faisait encore campagne au printemps dernier: Le fric n'a pas de patrie, et celui qui en possède un gros paquet peut se considérer au-dessus de la solidarité, de l'éthique et de la géographie.

Un peu plus tôt, dans un remake de Mammuth, l’interprète ivre de liberté filait sur son scooter à la recherche de l'Eden fiscal dans un bourg belge à 1.5 km de la frontière française, servant au passage de modèle pour les apologistes du "chacun sa gueule" à qui la seule évocation du mot "partage" donne la nausée.

S'estimant bléssé par le traitement qui lui est réservé en France, Depardieu franchit un cap (dans ce qui ressemble de plus en plus à une campagne marketing pour la baisse des impôts) en publiant une lettre ouverte à Jean-Marc Ayrault dans le JDD où il annonce qu'il rend son passeport français dans un style pompier mêlant Louis Jouvet et Sophie De Menthon.

"Je n'ai jamais tué personne, je ne pense pas avoir démérité, j'ai payé 145 millions d'euros d'impôts en 45 ans, je fais travailler 80 personnes [...] Je ne suis ni à plaindre ni à vanter, mais je refuse le mot +minable"".

En effet, quelques jours avant, le premier ministre qualifiait de "minable" la dérobade fiscale. Cet Ayrault est décidément trop policé. "Vivre et penser comme une merde" aurait été plus approprié.

"Je pars parce que vous considérez que le succès, la création, le talent en fait la différence doit être sanctionnée"

Non. A partir d'une certaine somme stratosphérique par rapport au revenu moyen des Français, spécialement dans une période où des efforts leurs sont demandés, il n'est pas scandaleux de reverser au tronc commun selon ses moyens quel que soit leur provenance, au contraire. Oui Gérard, ça peut paraître fou, mais on peut parfaitement bien vivre avec seulement quelques dizaines de millions par an.

"Des personnages plus illustres que moi ont été expatriés ou ont quitté notre pays. Je n'ai malheureusement plus rien à faire ici, mais je continuerai à aimer les Français et ce public avec lequel j'ai partagé tant d'émotions !"

...Qui ont contribué à m'enrichir (par les entrées en salle et une vraie politique fiscale de soutien au cinéma) mais pour qui je ne veux pas avoir à payer en bon gros égoïste de droite.

"Je vous rends mon passeport et ma Sécurité sociale dont je ne me suis jamais servi. Nous n'avons plus la même patrie, je suis un vrai européen, un citoyen du monde, comme mon père me l'a toujours inculqué"

Et bien... Adieu Gérard. On ne te retient pas[1].

Tes pets à répétition sur tournages ne nous manqueront pas, tes insultes aux travailleurs qui se battaient pour leur retraite non plus. Nos avions seront plus propres et nos routes plus sures. Sans compter que tu libéreras de la place pour plein d'acteurs talentueux dont tu faisais l'OPA sur les rôles et qui pourront ainsi s'enrichir puisque, derrière ta prose ampoulée, telle semble être la seule finalité de ton art.  Sois désormais célébré par tes fans de la nouvelle heure, nos crétins locaux qui pensent jouer dans la même catégorie fiscale que toi, alors qu'ils ne gagneront pas en une vie ce que tu gagnes en un mois.



[1] Petit point pratique. Etant donné la boulimie de films et de pognon de l'individu, il faudrait que l’industrie cinématographique wallonne lui offre de quoi tourner plus de six mois par an avec des cachets à 5 millions le film, ce dont, malgré la qualité du cinéma susnommé, je doute. Reste la piste de l'animation de banquets pour oligarques russes ou dictateur ouzbek. Une belle fin de carrière à la hauteur morale du personnage.

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12 décembre 2012

Vers la baisse des salaires ?

par
"Un salaire minimum modéré fait probablement plus de bien que de mal."
in The Economist, 24.11.2012 (relevé par Laurent Pinsolle)

Il va falloir vous le rentrer dans le crâne. Si le second semestre 2012 a été celui du bombardement idéologique sur notre "manque de compétitivité" quasi exclusivement focalisé sur le "coût du travail" et aboutissant à un cadeau fiscal supplémentaire de 20 milliards aux entreprises financé par une augmentation de la TVA, 2013 sera l'année des salaires trop chers.

Mais pas ceux des patrons du Cac 40 dont on apprend la hausse de 4% en 2011 à une moyenne de 240 smics annuel (pour des résultats en baisse). Non, les autres, les nôtres, à commencer par le minimum garanti.

Mediapart nous apprend qu'un groupe d'experts, pour le moins orientés, chargés d'éclairer le gouvernement avant les mesures de revalorisation du SMIC au 1er janvier, préconise dans un récent rapport (à lire ici) de revoir le Smic à la baisse, pour commencer, puis de le dynamiter en se dirigeant vers un Smic à la carte. 

Principales recommandations du rapport:
- Fin de la revalorisation automatique du SMIC sur la croissance du PIB. 
(C'est bien la peine de tout miser sur des lendemains ne pouvant chanter qu'au seul refrain d'un retour de la croissance pour stipuler en bas de page qu'elle ne doit pas rentrer dans le calcul du salaire minimum. Bref, la récession est une bonne excuse pour subventionner les patrons en pleurs. La croissance ne doit pas en être une pour augmenter les travailleurs).

- Fin de prise en compte du facteur de l'inflation dans le calcul du Smic avec orientation vers des "coups de pouce" (à l'image de ce qui a été fait par Hollande à son arrivée) plus conforme "à l’intérêt conjoint des salariés et des entreprises qui les emploient". 
(Rappel des bases: l'intérêt du salarié c'est de toucher un salaire, l'intérêt de l'entreprise c'est d'économiser sur ce salaire).

- Régionalisation d'un "smic jeune", ouvrant un dumping à l'intérieur même de nos frontières. Un vieux désir du patronat.

En décodé, ce rapport dessine la fin du salaire minimum et invite l'Etat à se désengager de son contrôle sur le Code du travail, pour qu'il se cantonne à la seule gestion de la casse sociale ainsi provoquée. Guérir en surface au lieu de prévenir les blessures.


Reconnaissons au gouvernement Ayrault qu'il n'esquive ni la question de la pauvreté ni celle du chômage. A la différence des premières années du quinquennat Sarkozy où les chiffres étaient systématiquement biaisés, adoucis, omettaient des catégories dans ses calculs. Maintenant, tout est vu de face dans la globalité et l'on n'hésite plus à parler de 5 millions de chômeurs, à assumer des perspectives négatives dans le domaine pour au moins toute l'année 2013. En revanche, la question des salaires est systématiquement piétinée, classée à la rubrique "toujours plus d'effort et c'est pas possible de faire autrement". Peur, manque d'imagination, paresse idéologique, influence d'une expertise économique unilatérale ? Le cocktail des quatre probablement[1].

Toujours est-il que, vu le poids argumentaire dont est porteur le chômage de masse pour presser toujours plus le travailleur sur son emploi du temps et sa non-augmentation, on s'interrogera sur l'innocence de cette exposition gouvernementale "sans tabou" du chômage et de la précarité au moment même où, dans l'ombre, lui est remis un rapport d'un ultralibéralisme décomplexé qui aggravera la situation sur ces deux fronts.

[1] reste ce mystère des mystères: comment des gens sensés peuvent-ils se persuader qu'il est possible de relancer la croissance en diminuant les salaires ? 

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11 décembre 2012

50 nuances de givre

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" -  Regarde comme il est trop beau !"

Sur le chemin, Alissa slidait ses instagrams sur le S3 jusqu’au cliché du frigo américain. Massif, le  ténébreux monolithe gris mat semblait garder jalousement derrière ses deux portes doublées inox une galaxie d'opulence alimentaire. Ses ténèbres anthracites, rehaussées du délicat rétroéclairage indigo cerclant le distributeur de glaçons, se calaient à la perfection dans la déco, façon salle d'autopsie NCIS, de la cuisine de la jeune assistance adjointe.

" - C'est pas superbe ça ?"

Alissa brandit les preuves téléphonées de son succès d'intérieur à Sidonie, sa responsable un peu ballonnée par la pause déjeuner expéditive, pour cause de manque d'effectif, au Speedy Tacos en face du bureau. Tout en s'interrogeant sur les ressorts psychiques pouvant conduire une jeune fille d'apparence équilibrée à prendre des portraits arties de son frigo pour en faire l'article à ses collègues et en tirer là le sentiment d’avoir accompli l'œuvre d'une vie, mais sentant bien que face à l’exposition soudaine de cette plénitude domestique les codes du savoir-vivre salarial préconisaient une approbation circonstanciée sous peine d'avoir à subir une ambiance de merde pour le reste de la journée, Sidonie ne trouva rien d’autre à répliquer que:

" - Oh oui alors, il très beau." Au terme duquel elle contint, non sans mal, un rôt saveur fayot.


Tout à son extase, Alissa ne décela pas la pointe d’ironie de sa supérieure hiérarchique cadençant leur avancée vers la rembauche d'un pas pressé.

"- Avec Thierry, on l’a payé 649 euros !"

Sidonie songea que sur un salaire de 1200 euros, et même avec l’apport de son homme de compagnie, 649 euros constituaient tout de même une putain de somme pour Alissa. Ce proxénète de Sofinco avait encore dû prendre le relais des désirs électroménagers de la jeunette en CDD. Fallait-il y voir les indices d'une libido chamboulée et le bouillonnement des passions provoqué par ces catalogues aux photos léchées pilonnant nos boîtes à lettres de leurs assauts érectiles ? Toujours est-il que Sidonie sentit poindre sur les lèvres d'Alissa une jouissance à peine dissimulée à la prononciation de cette phrase: 

" - Tu te rends compte: 649 euros !"

Ce à quoi Alissa ajouta avec l'assurance de faire mouche.

"  - Alors qu’il en vaut 1070 !"

Il en allait du frigo comme de l’accession à la propriété, le montant acquitté véhiculait un message capital. Il fallait que ce soit assez cher pour que la chose acquise n'apparaisse pas dévaluée aux yeux de l'interlocuteur, qu'elle impose le respect et vous place dans le camp des riches. Mais, il convenait dans le même temps de "faire une affaire" pour vous rassurer et prouver à l'entourage la supériorité de vos décisions sur le commun des mortels achetant, eux, à n’importe quel tarif sans passer soirs et journées à comparer, les inconscients. Reconnaissance sociale et affirmation de soi évoluaient dans l'enclos fermé d'une consommation calibrée. Ils dépensaient pour exister comme les autres, tout en affirmant dans la seconde d'après que, faisant ainsi, ils économisaient plus que les autres, forcément. Voilà qui, du bureau aux réseaux sociaux, des amis à la famille, meublait 70% des  conversations du monde de Sidonie. Le reste se dispatchant entre le descriptif de la dernière excursion en pack familial chez Disney, les +1 compulsifs des blagues anti-Hollande les plus éculées et la complainte sous forme de statut facebook d'avoir à payer trop d’impôts pour ces profiteurs d'assistés.


Dans le hall aux arbres en plastique du building de bureaux, Sidonie observait sans mot dire l'assistante adjointe dissertant sur la "révolution" du tiroir à agrumes connecté en wifi avec le panier virtuel de ses courses en ligne, dont elle avait dû par ailleurs ralentir fréquence et quantité car "la vie est vraiment trop chère". L’économie avait beau marcher sur la tête, les salariés stressés sauter par les fenêtres et les taux de perte, nommés "clodos", mourir de pauvreté dans nos rues: les stratèges de la publicité l’avaient finement joué. Les enfants de la croissance atone, ballottés volontaires d’un job à l’autre toujours moins payés, s’échangeaient désormais avec concupiscence les photos de leurs intérieurs aseptisés tels les diplômes encadrés du rêve américain enfin décroché.

Certes, le frigo américain ne s'obtenait qu'au sortir d'une confection asiatique au rabais dans un atelier d'esclaves et grâce au soutien intéressé d'un crédit à la conso bien français, tandis que la cuisine américaine, elle, n'était qu'une ruse immobilière pour construire une pièce de moins et habituer le locataire à vivre dans plus petit, mais Alissa puisait dans ces preuves de dépenses, chères mais pas trop, la force de continuer à croire en son élévation.  

Sidonie vagabondait en pensées sur ces amères ironies tout en pointant sur ce robot importé  rapportant l’assiduité des employés.

Les deux collègues redevinrent sérieuses alors que l'ascenseur les rapprochait du floor de leurs offices. La responsable vente secteur 6 repris mentalement le cours des affaires à traiter en TTU, "très très urgent", comme inscrit dans un courriel matinal lapidaire et néanmoins bourré de fautes d'orthographe posté par sa supérieure régionale, et notamment la question de l'annonce à 8 salariés de la non-reconduction de leur CDD. 

Liste en tête de laquelle figurait le nom d'Alissa. 

La douce voix synthétique leur annonça le bon niveau. Les deux collègues s'échangèrent un bref sourire de réconfort. Laissant d'abord s'échapper le souffle froid de la climatisation, les deux portes en inox gris glissèrent laissant apparaître le bac aux employés.


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- L'ordre des choses
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Ça s'en va et ça revient

Illus : 2001 a space odysseyAlex Greenberg.

10 décembre 2012

Le bonheur en promotion

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La dernière campagne publicitaire de la Française des jeux a pour objet les déboires quotidiens des gagnants du Loto. Plus que les 4 autres films de la série, le spot le plus diffusé à la télé, intitulé la piscine, véhicule des messages en rupture avec le discours dominant sur le travail et révélateurs du désarroi d'une époque sans autre idéal que l'accumulation maladive de pognon. (Visionner le spot ici).

Plan fixe. Dans un cadre pavillonnaire haut de gamme, un type en short, assis au bord de sa piscine, appelle un de ses amis au téléphone:

"- Allo Mathieu ? Oui c'est moi. Ça va ? Dis qu'est-ce que tu fais là ? Ça te dit de venir avec moi faire un petit plongeon dans la piscine ? Elle est super bonne."

Silence. Nous n'entendons pas la réponse de Mathieu, mais on la devine à la réaction du héros qui, hésitant, entre vantardise et regret, fait le constat tristement con de sa nouvelle solitude.

"- Ah oui tu bosses, ...tu bosses. Excuse-moi. Ah mais on est quel jour là ? ...Mercredi. ...Evidemment."

Qu'apprends-t-on de ces 15 secondes de réclame censées provoquer l'achat d'un billet de loterie par un spectateur qui, si l'on s'en tient à la logique de l'accroche finale du spot "la vie de gagnant réserve parfois quelques surprises", est à l'inverse bloqué dans une vie de loser ne lui en réservant aucune?

1 / Il est certifié que la vie de riche est synonyme de solitude
Derrière sa détente apparente, le "gagnant" conclut le spot de la piscine dans une situation de détresse plus prononcée qu'au début. Le spot est fait pour vendre: il a donc été décidé au terme des 1200 brainstorming ayant précédé sa réalisation que les signes extérieurs de la richesse (piscine, voiture, yacht suivant les spots) priment sur l'humeur. L'avoir compte plus que l'être. 
4 des 5 films mettent en scène le "gagnant" seul (ou avec quelques domestiques). Un spot présente "le gagnant" avec un ami, mais dans une voiture à deux places ne lui permettant pas de prendre à ses côtés une auto-stoppeuse. Oui, précisons que le "gagnant" des 5 spots est toujours un homme blanc, célibataire, entre 30 et 45 ans.

2 / Il est prouvé par défaut que le travail ne paye pas. 
Cette publicité serait-elle plus pertinente que des (rares) heures de reportage sur le sujet des salaires trop bas? Son contenu caché (le Mathieu de l'autre côté de la ligne) se fracasse contre les discours politiques et autres éditoriaux sur le "manque de compétitivité" du salarié qui lui serinés d'un média l'autre depuis le 6 mai. Rappel: le "manque de compétitivité" est une formule à connotation scientifique martelée pour progressivement faire accepter au travailleur (l'invisible Mathieu) qu'il baisse sa rémunération et soit plus flexible. C'est un effort nécessaire non pas pour le bien de la collectivité (le message ne passerait pas), mais pour "l'économie du pays". Un bombardement lexical réussi si l'on en croit un récent sondage Ipsos établissant que 76% des Français jugent que la France (donc eux) n'offre pas un environnement assez compétitif.


3 / Des messages d'émancipation contradictoires. 
Ces spots sont diffusés à proximité des tranches d'information. L'inactivité y est généralement vue comme la source de tous les vices (sociaux, moraux et économiques). A l'inverse, dans le spot de la FDJ, l'inactivité est l'aboutissement absolu lié au fait d'être débarrassé du travail. 
Le vrai problème n'est pas de travailler ou pas. L'inactivité n'est pas tenable bien longtemps. Nous sommes tous faits pour accomplir quelque chose (thèse que cette publicité sur les méfaits du "rien" valide implicitement). La question primordiale pour se sentir bien est d'être reconnu et considéré pour ce que l'on fait. Pour les salariés, la rémunération est, au minimum, l'élément clé de ce sentiment de reconnaissance (spécialement dans un monde qui a fait des valeurs marchandes et des moindres objets de la consommation courante des impératifs à acheter pour affirmer son statut social et son appartenance à la société). 

4 / L'accumulation d'argent est une affaire intime qui ne se partage pas.
Imaginons une réclame mettant en scène un gagnant du loto qui créerait une entreprise, reprendrait Florange, s'autoriserait à être généreux, partagerait sa maison avec les clodos du coin, distribuerait des camions de nourriture aux déshérités, dilapiderait tout son pognon en une semaine dans le souci exclusif de faire plaisir aux autres avant de retourner au boulot le lundi matin. Attention danger. Elle est loin l'époque de "Mais c'est le jeu ma pauvre Lucette" du gentil couple de retraités faisant tourner au hasard une mappe monde pour choisir la destination de leur prochain week-end en amoureux. Aujourd'hui, c'est tout pour ma gueule. Moi, mâle, je me gave seul des apparats d'une vie de luxe, quitte à m'emmerder comme un rat mort. C'est le prix à payer pour être heureux.

5 / Pauvre con isolé tu étais, riche abruti solitaire tu resteras.
L'inactivité des cinq spots de la FDJ se circonscrit dans le cadre exclusif des codes génériques du luxe façon M6 (le yacht, la piscine, la voiture de course) et des vacances de catalogue trois étoiles, mais en version sans fin. Les vacances ne se définissent pourtant que par rapport à une activité. Des "vacances" sans perspective de retour à l'activité (salariée ou pas), ce n'est pas l'ennui, mais l'enfer. 

Les mécanismes des publicités de la Française des Jeux sont simples. Ils ratissent au plus bas des fantasmes associés à l'obtention de grosses quantités d'argent tout en esquivant les problèmes que ces sommes peuvent concrètement résoudre (santé, mal logement, endettement). Les seuls échos de réalité concernent un monde du travail, lointain, considéré comme contraignant et peu rémunérateur. Le principe n'est pas nouveau, mais poussé ici d'un cran dans l'opposition entre "gagnants" et travailleurs (100% des perdants qui, selon les télévangélistes de la rigueur obligée, gagnent pourtant trop). 
La publicité s'enfonce également un peu plus dans l'absurde de l'époque[1] au point de faire des désordres intimes provoqués par l'accumulation de sommes indécentes, le corps de son message. Vantant le gain d'une maxi cagnotte, le spot de la piscine démontre quasi explicitement que l'argent ne fait pas le bonheur. Le corps social n'ayant guère plus d'imagination que l'accumulation individuelle maximale de pognon, il ne faut pas compter sur la publicité pour aller plus loin.

Gagnant, perdants. Tous à vos antidépresseurs.

[1] Rappel: tout l'argent pour une poignée piétinant l'ensemble des autres à qui les sacrifices sont imposés.

6 décembre 2012

Les nouveaux sorciers

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C'est avec tristesse que nous apprenons la suppression de l'émission de vulgarisation scientifique C’est pas sorcier! sur le service public. Fred et Jamy seront remplacés dès la rentrée par l'équipe enjouée et pédagogique d' une nouvelle émission de vulgarisation économique.
Au programme. Des croquis, des mots simples et un objectif : démonter le code du travail.

3 décembre 2012

L'appel de Duflot : Dieu est partage

par
"Je nourris un pauvre et l'on me dit que je suis un saint. Je demande pourquoi le pauvre n'a pas de quoi se nourrir et l'on me traite de communiste". Dom Hélder Câmara, 1909-1999, archevêque d'Olinda et Recife[1].

Dans la foulée de s'annonce de réquisitions de logements vacants avant la fin de l'année, Cécile Duflot en appelle à la solidarité de l'Eglise pour qu'elle mette à disposition certains de ses bâtiments non utilisés.  

"J'ai bon espoir qu'il n'y ait pas besoin de faire preuve d'autorité. Je ne comprendrais pas que l'Eglise ne partage pas nos objectifs de solidarité" affirme la ministre dans un entretien au Parisien.

Le Canard enchainé a récemment constitué un dossier sur les biens quasi vides de l'Eglise catholique à Paris. On en retrouve les meilleurs morceaux iciLa liste est accablante: des hectares inoccupés ou presque  dans les coins les plus chers de la capitale. Exemple, le terrain de 1 hectare des "petites soeurs des pauvres" du Boulevard Murat. Je connais bien: ma chambre de gamin donnait dessus et le truc était déjà quasi désert dans les années 70. Le Canard nous apprend qu'une négociation pour y faire construire des logements sociaux a capoté par la faute des paroissiens du quartier multipliant les recours en justice. Un combat reprit par les riverains (pas vraiment dans le besoin) et Vincent Bolloré (voisin de Carla B. à la Villa Montmorency à 500 mètres de là) qui propose aujourd'hui de reprendre le terrain pour s'assurer de la tranquillité du coin (comprendre : dehors les gueux à l'année). 

Certains qui ne sont pourtant pas les derniers à vouloir que l'Eglise se mêle des affaires de l'Etat, s’insurgent que l'Etat s'occupe des affaires de l'Eglise.

Panorama des réactions glanées ce matin, dans les commentaires des journaux ou sur les réseaux sociaux, suite à une efficace et virulente riposte des RP de l'Eglise catholique:

- "L'église s'occupe déjà des pauvres". Vrai. Heureusement qu'il reste des gens se souciant au quotidien de leur prochain, qu'ils soient de l'Eglise ou non. Là on parle d'hébergement: un pas plus loin dans  l'amélioration prolongée des conditions de vie (le coeur du problème, ce sont les biens inoccupés à l'année). Profitons-en pour rendre hommage à l'Abbé Pierre qui aura contribué avec son "insurrection de la bonté" au sursaut national sur le sujet dans les années 50 (au passage, à l'origine de l'interdiction de l'expulsion locative pendant l'hiver). Aujourd'hui, à part pour casser du mariage gay, on entend peu les pontes de la chrétienté et leur fan-base passer à l'offensive dans les médias.[2]

- "Pourquoi Cécile Duflot ne commence-t-elle pas par donner son bureau aux pauvres ?" Ça vient en personne de Monseigneur Dubost, évêque d'Evry. Derrière la puérilité du propos, se cache néanmoins une réalité: la vacance d'une bonne partie du patrimoine foncier national. Il aura pas échappé à Monseigneur que c'est également au programme de la Ministre et qu'il est prévu une cession gratuite de terrains de l'Etat pour la construction de logements sociaux

- "Mais pourquoi Cécile Duflot ne demande pas aux banques de céder leurs biens inoccupés ?" J'imagine qu'elle le fait aussi. Notons que ces organismes se sont déjà délestés d'une bonne partie de leur parc immobilier et que, si l'Etat et le clergé se mettent de concert à céder gratuitement du foncier, ça ne peut que contribuer à baisser la côte des biens privés autour. Remarque, tu me diras: c'est peut-être ce qui cause un problème à ceux s'insurgeant aujourd'hui contre l'appel de Cécile Duflot.

- "Mais pourquoi ne pas demander aussi aux juifs et aux musulmans ?" Si si je l'ai lu. Étonnante revendication de la part de ceux qui en appellent en permanence aux fondations chrétiennes de la France. Au niveau du parc immobilier, cette réalité est incontestable. Derrière les terrains et bâtiments vides dans les grandes villes, se cache également la question des églises et autres presbytères dans chaque village de France. (Vu cet été dans un village de 400 personnes dans le Saumurois avec deux églises, et j'en connais plus d'une en totale inactivité). Alors que l'on nous rabâche les oreilles avec le manque de compétitivité des individus, interrogeons-nous d'abord sur le manque de compétitivité du bâti au m2. Et là, l'Eglise est très mal placée. Il y aurait peut-être, au minimum, un début de réflexion à accomplir sur l'optimisation de l'espace et de ses usages.

La question du logement doit transcender les intérêts particuliers des uns et des autres. Cela doit être un effort collectif. A bien y regarder, l'effort ici n'est pas bien méchant: rendre disponible des terrains vacants, ouvrir les portes de biens inoccupés. Bref, faire preuve de solidarité. Mais, à l'hiver 2012, il semble que ce soit devenu une hérésie même pour ceux qui se réclament d'un Dieu qui, soyons mystiques trois secondes, doit souvent les regarder consterné.

La lettre de Cécile Duflot à lire ici

[1] merci à Omer pour la citation ;)

[2] Conseil: d'un pur point de vue de com', en cédant quelques bâtiments, l'Eglise gagnerait en image ce qu'elle perdrait en foncier.

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