31 mars 2011

Chou blanc au salon de l'immobilier

par
Cake, cotillons et catalogue Ikea. Ce dimanche au beau milieu des bâtiments dortoirs, jaune délavé et orange oxyde, duplos jetés en vrac le long de la banlieue sans identité où horizon au bitume et ciel gris se confondaient à l'année, au 4 étage de la barre D, alors que les enfants lançaient l'assaut contre Ras Lanouf dans Call of Duty : Black Ops sur le jumbo plasma 3D depuis leur état major, ce colossal canapé bycast au centre du salon cosy sentant le bonbon,  les trentenaires célébraient l'anniversaire de crémaillère du T3 autour d'un festin pâtissier. Un goûter quoi.


Cinq ans déjà que Chou et Magali s'épanouissent en ce lieu avec leurs deux enfants, Mattis et Théo. Plazzadamidoïsé du sol au plafond, de la pyramide senteur aux stickers muraux, le trois-pièces  vermillon se conformait à la perfection aux codes télévisés du confort. Du coup, le couple s'y sentait à l'étroit.


"Et qu'est ce qu'on va pouvoir mettre comme photos sur facebook si on reste ici ? On ne va quand même pas recarreler une troisième fois la cuisine !" grimaçait Magali déposant ma part de flan aux pruneaux "recette Masterchef" sur la table basse d'un designer dont elle m'avait précisé à deux reprises depuis la tarte aux fraises qu'elle l'avait commandée 190 au lieu de 410 euros sur discount-privé.com.

Tandis que l'élégante en Etam dégriffé passait les assiettes à l'assistance captivée, Chou la rassurait (d'une voix mystérieusement posée, signe inquiétant d'une inhabituelle montée de virilité) :

CHOU
- "T'inquiètes Mag' quand tout sera réglé, qu'on aura vendu ici et qu'on aura acheté là-bas, tu l'auras ta cuisine de compet' !"

MAGALI
- "j'espère bien."

Les yeux fiévreux de désir, il poursuivit la description de l'heureux évènement qui les attendait :

CHOU
- "...Et quand j’aurai fini de monter les cloisons, j’installerai un chauffage à bois. Pas besoin de s'y connaitre et y en a régulièrement des dégriffés chez "le destockeur de la bricole !"


Depuis une heure, sur un tapis sonore mêlant mitraillages militaires et ritournelles celtiques massacrées par Nolwenn Leroy, la nouvelle obsession foncière de Chou cannibalisait les conversations de la récréative collationMe délectant d'un mystère à la noix de coco, je feuilletais les doigts gras l'album photo de l'acquisition convoitée par le couple : une sorte d'usine à moitié enterrée dont l'entrée était encombrée de poutres rouillées.  L'oeil aguerri pouvait encore déchiffrer sur le mur du fond, bien que s'affaissant car rongé par l'humidité, les traces laissées par une affiche jadis décollée : "Zone contaminée - Accès interdit"

CHOU
- "Je t'assure Seb, le sous-sol c'est tendance ! C'est du "mi-souterrain". Ce sont des biens atypiques à charges modérées, faciles d’accès, offrant en ville la possibilité d'espace extérieur."

SEB sceptique
- "Ouais enfin faudrait déjà qu'il y ait un espace intérieur. La vache, il y en a quand même pour des mois et des mois de travaux. Où allez-vous ranger les mômes ?"  

Magali partie s'enquérir que les mioches ne grignotassent pas trop de tagada en tuant leurs talibansChou me chuchota :

CHOU
- "Mag tourne en rond. Un nouveau projet patrimonial reboostera notre union." 

30 ans passés, encore quinze ans de crédit et déjà sept de mariage, l'expérience râpait les espérances.


Le désir de Chou avait débuté trois mois plus tôt au détour d'une réflexion de son chargé de compte à la BPN, Brandon Maddouf  :

BRANDON MADDOUF DE LA BPN
- "Avez-vous songé à votre parcours résidentiel ? Propriétaire d’accord, mais d’un 3 pièces de 60m² à 32 ans, ça craint. Vous pouvez être assuré que nous étudierons avec la plus grande des diligences votre dossier."

Dans la foulée, Labrique, bogosse à l'agence immofucker du coin, enfonça le clou :

THIERRY LABRIQUE D'IMMOFUCKER
- "Vous savez je connais bien la zon... enfin le quartier. En face de chez vous des gens plus jeunes ont acheté un 4 pièces à bon prix. Voyez un peu, Monsieur Farcy :  il faut bouger. Dans l'immobilier, ce qui compte c'est la mobilité."

Labrique tapait juste. Acheter à crédit ne suffisait plus.  Pour se sentir maître du temps et des éléments, la nouvelle génération de proprios endettés devait régulièrement changer d’habitation en bénéficiant des points bonus accumulés au jackpot, toujours gagnant, de l'immobilier tel que plébiscité à la télé : 

CHOU
- "Le deal c'est de revendre ici 190.000 et d'acheter plus grand, le loft en mi-souterrain 100m² à 430.000 et d'en faire un cinq pièces !"

...et de repartir à zéro à plus de trente ans avec trente ans de crédit sur le dos. Omettait-il de préciser.

Les regards de l'assistance absorbée de salon-salle-à-rêver dissimulaient mal sa jalousie. Ils s'étaient fait souffler l'idée. Rentrés au paddock, il y penseraient. Chou et Magali avaient réussi leur petit effet.

MAGALI fière
- "Qui veut du coulis ?"


Tout de même. Où étaient mes amis passés ? Rebelles aux convictions tranchées. Eux qui méprisaient tous azimuts médias, politiques et banquiers. Je les retrouvais, indolents autour du flan, deux dimanche l'an, une flûte à pied de banga à la main à mimer les meilleures scènes de Camping 2 (et dieu sait qu'il y en a peu) entre deux récits de leurs dernières ruées endiablées en centre commercial pour s'arracher ces offres promos exceptionnelles entendues à la radio. Leur poésie d'annuaire s'entrecoupait des voraces évocations de leurs prochaines culbutes immobilières. Ce domaine seul focalisait la hargne, la concupiscence, la volonté de puissance que le reste du temps, partout ailleurs, ils taisaient. Leurs ambitions moelleuses et clonées comme leurs intérieurs à la guimauve, guidés au quotidien par les admonestations hertziennes des dealers d'euphorie : les anciens révoltés s'étaient tous endettés pour des décennies au terme d'un strip-tease financier devant le banquier, avec la complicité d'un gouvernement voyant dans chaque jeune capté par la propriété à rembourser, un candidat de moins à l'insurrection.  Avant trente ans, il convenait de ne pas déterrer les pavés et de rembourser ses parpaings.


Mais en ce dimanche de printemps à rab' de flan et d'effluves d'encens au jasmin, j'eus la confirmation que nous basculions dans une nouvelle dimension de la gagne individuelle.

Non contents de pousser le prolo à devenir proprio, le banquier et l'agent immobilier, le premier possédant le bien le second ponctionnant la transaction, l'incitaient désormais à déménager, pour avoir plus grand et, à terme, évidement, "plus d'argent". Le bien immobilier comme la voiture ou le lecteur DVD devenait un bien de consommation courante à obsolescence accélérée. 

N'ayant pas encore empoché la plus-value sur le premier appartement, Mag et Chou misaient maintenant sur le pactole que rapporterait la revente du "mi-souterrain" rénové.  Dans les pays à la croissance atone, où se bousculaient les travailleurs sans travail dont le libre arbitre se circonscrivait au seul champ du consommable ostentatoire, il n’y avait bien que l’immobilier pour surperformer les indices et galvaniser les individus. La rationalité n'ayant plus cours, le "toujours plus" s'y garantissait en boucles de réclames lardant les marathons nocturnes de programmes dédiés. Le jour de l’apocalypse, deux domaines atteindraient leur apogée : le nombre de talk-shows sur les chaines d'infos avec votes SMS surtaxés (la fin du monde ? Tapez A pour B contre) et le prix moyen du mètre carré. 

2012 approchait. Chou visait grand. Pour les enfants ? Oui d'accord, mais pour bouger d'abord et ne surtout pas se laisser piéger. Le crédit c'était la liberté, l'immobilier l'évasion. Et puis, si on ne pouvait plus s'enrichir en revendant son appartement, où irait-on ? Nulle part. C'était bien cela qui angoissait nos émancipés sur prospectus.

Sans ce nouvel achat, Mag et Chou redoutaient que leur existence n'apparaisse telle qu'elle était : figée dans un univers d'accélérations, sans perspective et sans gain dans un monde où l'on valorisait l'ambition aveugle et l'accumulation de pognon, les deux pieds pris dans un béton peu compatible avec les culpabilisantes injonctions de flexibilité. Le T3 a l'ambiance tamisée trahissait l'évidence d'une vie à passer à deux alors qu'ils ne s'aimaient plus. Il était financièrement impossible de se séparer. L'un sans l'autre, Chou et Mag ne pouvaient pas se loger mieux. La seule issue pour les colocataires de l’échéancier : s'endetter encore plus, pour plus d'espace.

La conjoncture, le climat politique, tous les nuages radioactifs du monde ne les atteindraient pas, Chou et Magali chouchoutaient à foison ce souhait de renaissance foncière : 

CHOU
- "430.000 euros c’est pas cher pour ce que c’est. Je revends ici et j’emprunte le reste, ça va le faire. Oui y a des travaux, mais je ferais tout moi-même. Ça prendra le temps que ça prendra,  tu viendras m’aider hein ?"

SEB
- "Ça tombe bien. Risquer la tétraplégie pour le désir de palace des autres, moi c’est mon dada. Dis donc Mag, t'as pas plutôt de la Tequila ? "

CHOU
- "Y a quand même un problème…"

SEB
- "Quoi donc ?"

CHOU
- "On ne trouve pas d’acheteur à 190.000 euros".

SEB dans une brillante interprétation de la stupéfaction :
- "Ah."

Chou avouait avoir reçu un appel de Labrique en début de semaine :

THIERRY LABRIQUE D'IMMOFUCKER
- "Vous savez je connais bien le marché. Et là, va falloir faire un effort sur le prix. Faut baisser. Dans la pierre, ce qui compte c'est la souplesse."

Chou n'en dormait plus, au point qu'il confessa en aparté ne plus toucher Magali.

CHOU
- "Moi baisser ? Jamais !"

Il en allait de son honneur.

Discrètement, alors que Théo étripait un terroriste à l'arme blanche, Chou s'épancha nous livrant le récit de ses violents émois, ce tsunami du dépit qui l’irradiait au cœur de la centrale du particulier, du matin dans les bouchons, au soir devant NCIS, en passant par le boulot et ses pauses à la machine à cawa. Même ses parties de tetris sur l'heil phone n'avaient plus ces saveurs d'antan du propriétaire content. Son désir de mobilité immobilière contrarié et tout cela pour un stupide défaut d'acquéreur !  Le loft mi-souterrain risquait de lui passer "sous le nez", même si ce bien non plus ne trouvait aucun preneur à ce tarif-là. Chou, vert de voir son "projet patrimonial niqué" narrait amer que son bâtard sensible de banquier s’émouvait aussi de son sort :

BRANDON MADOUFF DE LA BPN
- "Avez-vous pensé au crédit relais ?"

Désormais, prisonnière de sa félicité glacée, la PME Chou et Magali, malgré son salaire cumulé pas glorieux, partageait désormais les modestes ambitions du commercial en Ponzi :

CHOU
- "Putain, pourvu qu'on trouve un acheteur..."

"Ce qui serait tout de même étonnant à ce tarif-là pour un T3 caravane dans une barre perdue entre d'autres barres à une heure d'embouteillage de toute activité salariale décente" ruminais-je en mon for intérieur tout en savourant ce flan aux pruneaux dont Magali me resservait une plâtrée en geignant :

MAGALI
- "N'empêche que ces rumeurs de logements sociaux qu'ils parlent de construire dans le quartier ça nous fait vachement de mal. Ça risque de tout faire baisser."


Et l'ex-opératrice de call-center qui longtemps avait enduré les brimades de son manager, avant à son tour de se venger sur les nouveaux venus avec des objectifs toujours plus inatteignables, d'ajouter :


MAGALI
- "Tu vois Seb, c'est pour ça que je ne voterai jamais à gauche !"

C'en était trop. Je posais mon assiette et m'embarquait, la bouche pleine, pour la tirade n°7 :

SEB
- "Ah elle est jolie la lutte des classes ! Chacun lutte contre celle d'en dessous dans l'espoir d'appartenir à celle du dessus ! L’accès au crédit immobilier qui vous assurait la richesse, voilà ce qui vous perd et vous fait épouser en toute circonstances la cause des puissants !"

Fallait que ça sorte, même si j'éclaboussais inopportunément la petite assemblée de ma spongieuse pâtisserie prémâchée. Un ange passait sur fond de folklore breton se mêlant au murmure lointain de quelques agonies de barbares explosés à la grenade défoliante par nos gamins.


NOLWENN LEROY
- "J'entends le loup, le renard et la belette, j'entends le loup et le renard chanter..."

MAGALI
- "Bon qui veut du thé ? Cannelle et Salsepareille, Laspang souchong, griotte de Kyoto ? Un café gourmand peut-être ?"

CHOU posant sa main sur la mienne, me fixant dans les yeux, le gauche c'est mieux.
- "Seb, tu peux pas comprendre, t'es locataire. Je ne vais quand même pas devenir pauvre pour te faire plaisir."


Contredisant pourtant les discours sur la méritocratie sermonnés à longueur d'ondes par la classe dirigeante, la martingale de la plus-value immobilière devenait le premier ascenseur social des classes-moyennes. Plus curieux encore, via le crédit à vie, la récompense y précédait l'effort.  


Se faisant, l'horreur que provoquait le pauvre, l'assisté ou le locataire" chez le "moyen" qui, lui, avait "le courage" de s'endetter, permettait à l'Etat de délaisser la lutte pour la réduction des inégalités. Au contraire, à l’instar du panneau pour le nouveau prêt à taux zéro, le sans-domicile ou le mal-logé constituaient de leurs galères la plus puissante, et la moins coûteuse, des campagnes publicitaires pour les marchands de pierre.  Cette soif de foncier qui obsédait la classe moyenne précarisée (car elle se saignait de plus en plus pour jouir de "sa" propriété individualiste) avait pour conséquence première de sanctuariser à des niveaux himalayesques, le patrimoine des plus aisés. La cupidité des moyens nous épargnait la révolution, excluait les plus fragiles et renforçait la suprématie des puissants, pourquoi cela changerait ? A moins bien sûr que le combustible jeté dans le chaudron atteigne un jour la température critique de l'insolvabilité globale.

CHOU
" - Tu dis ça.... mais tu verras quand j'aurai mon mi-souterrain avec ma salle de cinéma perso ! World Invasion Battle Los Angeles en multi-THX avec le distributeur de pop corn. Tu vas chialer !"

Pourtant l'argent manquait, les frais de la vie courante explosaient et les salaires croupissaient. La religion de l'immobilier ne mentionnait aucun retournement de situation, et surtout n'en tolérait pas : il fallait que ça continue à grimper. Chacun dans le salon capitonné avait la conscience diffuse de construire, traite par traite, un édifice qui s'écroulerait (en priant que ça tombe sur les autres), mais aucun des convives ne remettait en cause la croyance. Un quart de siècle de télé et d'argent-roi nous avaient abrutis, rendus inaptes à la réaction collective. Les potes à chou s’arc-boutaient sur leurs immédiats intérêts, et ceux-là passaient inévitablement par l'accession à la propriété à crédit. Elle était là notre révolution : avoir plus que nos parents, tout de suite et sans argent. Puis, le payer comptant pour le reste de nos vies. 

Nous dûmes écourter la partie fine. Théo, en pleine crise de tétanie pour cause d’excès de lunettes 3D, vomissait ses Tagada sur le bycast à seize versements.

L'humeur chagrine, aux frémissements du soir, je quittais la barre D mon doggy bag de babas et autres délices sucrés sous le bras. Cherchant en vain un raccourci, lové dans mon spleen parisien, je tombais sur la fraîcheur extra-terrestre d'un panneau lumineux 4X3 se décrochant sur le tapis terne de la banlieue à forte densité de béton dont il bordait l'entrée. Un jeune couple vêtu de blanc, tout droit sorti d'un manuel de scientologie, y regardait souriant l'horizon. Au sommet de la surface plane, était inscrit en lettre de win"A chacun son toit" suivi du numéro vert d'un Brandon Maddouf de la BPN. Soudain, ma raison de mélomane fut envahie d'une étrange transe, et bientôt je me surpris à fredonner la satanique rengaine :


" - J'entends le loup, le renard et la belette..."

La route serait longue. Le cauchemar ne faisait que commencer.


24 mars 2011

Paris : l'immobilier en pointe

par
A l'abondante rubrique du WTF de l’immobilier parisien, où la démence spéculative côtoie en toute quiétude le scandale sanitaire, ma dernière expédition dans un deux-pièces des beaux quartiers mérite son entrée au Top 5 des plus belles escroqueries visitées.

On ne remplace pas dix d'ans d'expérience. Ayant rendez-vous à 18h00, j’arrive à 18h15. Rien ne sert de se presser pour louer. Face au candidat locataire, l’agent immobilier débarque systématiquement un quart d’heure en retard avec comme seule excuse sa nonchalance overbookée qu’il accompagne dans les grands jours d'empathie d’un « hi, hi, la circulation vous savez ce que c'est»

Ils sont 25 alignés en rang d'oignon contre le mur ombragé de la jolie rue sans vie de l'arrondissement à la pierre précieuse. Ils ont entre 25 et 40 ans, une chemise cartonnée de couleur sous le bras avec deux élastiques là. Au terme des dépôts de garantie, des pièces à conviction et, bientôt, des analyses ADN à livrer : un seul vaincra, peut-être. Pour le moment, ils s'ignorent, perdus dans la consultation de leur jouet (taux de pénétration de l’appareil Heil Phone sur ce côté de la rue : 90%). Moi j'ai un Nokio tout pourri des années 2008, obsolète, mais, au bout de 30 secondes, je reçois un appel avec quelqu'un qui me parle au bout et ça, ça en jette.  On s'estime, on se scanne, on se jauge. Chacun tapisse la honte d'avoir encore à patienter pour se loger à son âge de sa réconfortante sérénité de jeune précaire rompu à la galère. Chomdu, malbouffe précariat et études refuges, au fil des déconvenues, chacun ici a développé une contemplative méditation sociale qui en a fait un esprit tolérant, lumineux, mature et inspiré. Hey, putain les mecs, vous êtes fiers de vos groles de Bozo ! Merde ça a rime à quoi ces ridicules chaussures à pointe en faux cuir pour commercial en stores !

 (Nos experts l'affirment : la chaussure de Bozo trahirait un manque de confiance dans sa virilité.)

Oui, le candidat est un loup pour le prétendant. Vaine tentative de déstabilisation, revenons à nos moutons.

J'ai des principes. D'habitude, je ne me déplace jamais pour ce genre d’annonces publiées sans photo, estimant qu’avec des "frais d’agence" tournant entre 1000 et 1500 euros, ces abuseurs de maman pourraient s'acheter un Coolpix à 150 euros et cracher au prétendant un ou deux .Jpeg. Mais non, à l'heure des écrans et des images partout, tout le temps, à Paris l'annonce immobilière illustrée reste encore l'exception

Remarque à la longue, vu la tronche des machins visités, on comprend pourquoi.

Trop en montrer serait explicitement revendiquer l'escroquerie, une sorte de flagrant délit pictural sur des offres oscillant entre offense et indécence. Limite ça pourrait foutre la honte à l'agence, tu vois ? Il faut donc capitonner les annonces. Tout y est "joli", "charmant" ou "proche métro" (grosse méfiance quand tu retrouves les trois ensembles). Sur la vitrine de l'agence, les loyers élevés rassurent les investisseurs. "Si ça se loue à ce prix là", dit Simone à Robert venant d'empocher l'héritage de l'arrière-grand-père net d'impôt, "c'est qu'il faut acheter pour louer encore plus cher !" Matériel publicitaire pour la bulle spéculative, en attendant que ça krach, les prix élevés à la location contribuent à maintenir artificiellement la cote (nous constatons sur Paris que de plus en plus d' annonces de location tournent des mois sans trouver preneur).

Ce n'est donc que lorsque le candidat à la loc' appelle l'agent pour convenir d'un rendez-vous que le ton se durcit. Il passe un premier casting téléphonique à la sauce"nouvelle star", à base de "vous avez des garants qui sont propriétaires" et "vous gagnez 3,3 X le montant du loyer". Après les mensonges d'usage, le candidat décroche enfin le rendez-vous et peut découvrir la réalité immobilière de la location parisienne : les "immeubles modernes" datant de 1910, les 3 pièces se transformant en 2 pièces, les 2 pièces virant duplex, des duplex devenant studios aux charges qui doublent. S'ajoutent, quelques douceurs sur le cake à pognon : des frais divers plus ou moins légaux (trimestres payables d'avance, état des lieux payant, taxes diverses...).

Mais bon, bref, nous n'en sommes pas encore là. Il fait beau, je suis de bonne humeur, et de toutes les façons on va tous crever à cause d'une overdose de panaché, donc me voilà comme un niais à faire la queue avec les autres alléchés par l’annonce :

« 2 pièces atypique 50m2 dans charmant immeuble de standing. Joli appartement. en partie mansardée. très clair au 4e étage sans ascenseur. accès entrée par petit escalier intérieur. Un séjour avec cuisine équipée. 1 chambre. Salle d'eau avec WC. Parquet. 1170 euros. Honoraires 1170 euros. »

18h20. Après avoir renversé trois poubelles, un vélib et deux poussettes pour se garer de travers sur une place handicapé avec sa Smart cabossée, l’agente arrive enfin :


« - Hi, hi, c’est compliqué de se garer dans ce quartier. Bon on va vous faire rentrer 3 par 3 ce sera plus simple. » 

Rupture d'ambiance. Terminé la neutralité bienveillante. Chacun n'épie plus figé la coque amovible du mobile d'autrui (j'aime beaucoup cette phrase). Les candidats passent en phase "c’est moi le premier". A la suite de l'agente aux clés, la procession des déclassés grimpe l'escalier du "charmant immeuble de standing". Premier étage, une société sans salarié. Deuxième étage, une société sans employé. Là, un cabinet d'avocat, spécialiste en immobilier. Là, un dentiste fermé. Ah Paris... son brassage de population, sa mixité sociale et son dynamisme ! L'ascension se poursuit sur six étages et non sur quatre comme mentionnés. Et, six étages d’un "charmant immeuble de standing parisien", ça veut dire douze en langage de terriens. Les larges marches en bois usé de ces bâtisses antiques cirées jusqu'à l'abus du lisse compromettent l'odyssée, surtout celle des hommes en chaussures en faux cuir à pointe qui dérapent dans les virages.  A l'aube du sixième niveau, on tousse, on halète, les étudiants les plus endurants tablent déjà sur quelques défections féminines. On entend des plaintes en espagnol, en bavarois et même en japonais. Mais rien n’y fait, toutes tiennent bon. Ils atteindront le pied-à-terre promis.

Je m'agrippe à la barre, de plus en plus branlante au fil de la montée. Les murs s'assombrissent, s’auréolent d'humidité, les matériaux semblent maintenant de moins bonne qualité. Je tente d'en décourager quelques-uns en lançant un "nous n'aurions pas du tous grimper en même temps, la rampe va céder" dont l'écho de terreur file sur la cuirasse en titane des soldats de "seloger.com" comme une soirée électorale de défaite UMP sur Tf1. Les marches étroites resserrent les sueurs des aspirants locataires. On ne peut désormais plus faire marche arrière, sans entraîner la glissade générale. La conquête du dernier niveau se joue sur un ajout rouillé : un escalier de service en colimaçon, modèle phare de l'angoisseEn cas d’incendie, pour les habitants de ces lieux qui, à l'instar de la vétusté de leurs installations électriques, atteignent des sommets, c'est le gage d'un bon barbecue où ils feront office de pigeons braisés.
(La bonne nouvelle ? Aucun frais d'ascenseur.)

Dernier étage : un parterre de poussière sous les toits fleurant bon le courant d’air continu l’hiver et la cuisson à l’étuvée dès le 1er mai. Ceci explique mieux le label "Bah on sait pas" du bilan énergétique publié sous l'annonce.

"- Nous y voilà" fanfaronne l’agente. "- Vous allez voir c’est atypique".

Appelle-nous jeunesse aux rêves plats, mais, dans cette capitale où tout est facilement "atypique", on en vient à souhaiter du quelconque : une cuisine, des vrais WC, un lit qui ne soit pas à plier, un loyer à trois chiffres.


La porte d’entrée se confondrait aisément avec celle du vide-ordure si seulement l'immeuble disposait d'une telle technologie. Le dormant de la porte en balsa écrête à 1m50 et il faut littéralement se plier en deux pour le passer. "Atypique" en effet. Mal foutu eût été plus à propos. Mais il faut en plus pour flétrir les durs à cuire de ma génération rodés à bosser pour rien,  vivre à genoux, bouffer du Lideule et mater du Carré Viip en se lamentant sur le net que la télé c'est trop abusé ! Ayant laissé ma place aux quinze premiers, je ne perçois des premières visites que pouffades et échos agacés.

Vim Diesel, en blouson de motard, sort de là avec sa Michelle Rodriguez.
" - Non mais c’est une blague !"
" - Je t'avais dit que c’était un loi Carrez. "

Jean-Gonzague, thésard en tubulure de la structure séquencée des théorèmes du têtard, prend ça avec philosophie : 
" - C'est mignon."

Le Schpountz 2.0 monté à la ville pour son CAP MacDo y va franco :
" - 'Té, c'est de la merde ! A ce prix-là chez moi, j'ai une ferme avec le tracteur et les vaches !"

Les comptes-rendus détendent l’atmosphère, désintoxiquant la cage d'escalier de son taux de compétition. N'empêche, j'ai attendu dix minutes, gravi l’Annapurna au péril de ma vie sur des marches O Cedar : pas question de céder à l'orée du repaire des Minimoys.

C’est mon tour. Je suis accompagné de deux baraques allemandes, Zadig et Micromegas. Et c'est tout naturellement que nous pénétrons à quatre pattes, tel le centipede, dans l’appartement proposé à la location à un tarif avoisinant celui du salaire médian.  Entrée en matière avec un premier coup de boule dans une poutre : si près du Panthéon et pas de place pour les grands hommes. L’étape éliminatrice de la porte d’entrée franchie, les grands gaillards ne se laissent pas émerveiller par le parquet stratifié flambant neuf, ne succombent pas l'enivrement des senteurs de peinture fraîche (hou la la au moins 200 euros de travaux) et surtout, surtout, prennent garde au dénivelé. L’appartement (enfin ce qu'à ce stade nous croyons encore être un appartement) se situe 60 centimètres en contre bas de la porte d'entrée. Ce truc en moins, c'est le petit plus. Va savoir, les soirs de forte pluie, le locataire sélectionné (après présentation d'un dossier validé par le FMI) bénéficiera peut-être d’une piscine sous les toits. Ce qui, tu en conviens, est le comble du luxe parisien. 

A notre droite, là où l’agente attend la remise des dossiers, sa rente et ses honoraires, se situe une "pièce" de 5m². Espace inutile et inutilisable, dans l'épingle à cheveux, séparant le tunnel de passe-partout de son appartement ou, plutôt, de son sarcophage pyramidal à la gloire du pharaon tout-en-arnaque : "mansardé" étant, de loin, le moins mensonger des mots du message.

(Ami proprio : l'entre-toit, y as-tu pensé pour stocker de l'indigent et récolter plus d'un smic par mois ?)

Zadig, Micromegas et moi sommes pris d’effroi. Nous appréhendons bien mieux les commentaires désabusés de Diesel à sa belle. Nous sommes ici en présence d’une double "chambre de bonne" en enfilade sous un toit en pointe. Les 50 m² au sol correspondent au final à un 22m², « habitable » sur sa seule longueur centrale. Enfin... à condition de faire moins d’un 1m60. Je ne peux pour ma part me déplacer que sur un espace correspondant à la largeur de mes bras tendus, le long des 7 mètres reliant la cuisine (où il convient de faire bouillir ses pâtes accroupi) à la "suite parentale" (où le "vivons heureux, vivons couchés" n'est pas une phrase en l'air). Je ne sais pas trop ce qu'en pense Zadig, mon collègue berlinois. Culminant à 2m03, sa tête sort de l'appartement par la fenêtre de toit :

ZADIG face en offrande aux fientes.
"- Was ist das ?"

Non, honnêtement, c'est étriqué. La seule pièce verticalement vivable reste "la salle d’eau"  et ça n'a rien de Versailles. Dans ce réduit de 4m², il faut enjamber les toilettes (sans passer à travers) pour se doucher. Problème si l’on peut s’y laver en longueur, on ne peut s'y soulager en largeur : toute personne présentant un ratio taille / poids hors des critères de la double page centrale d'Anorexia magazine n'aura qu'à aller faire caca chez l'avocat. Et si d'aventure, le prétendant un peu enveloppé réussissait son entrée dans "la salle d'eau", il prendrait le risque de ne plus pouvoir s'en extirper. Ce qui, à cette altitude dans l'immeuble inhabité et pour peu qu'il ait oublié son heil-phone sur la table (basse forcément), peut vite virer au faits-divers de merde.

L'agente :
"Vite, vite je suis pressée : j'ai pas mis de ticket à ma Smart !"

Et radine avec ça.

L’aller-retour de la cuisine à la chambre est expéditif. Zad et Micro, pas plus que les visiteurs d'avant ni ceux d'après ne déposent de candidature. Même avec des chaussures de clown, on a encore un semblant de dignité. Et parlons chiffres : je suis formel, un autobus blindé de rugbymen est plus spacieux. Avant d'être inlouable, la chose est d'abord inhabitable au-delà de l'âge de 7 ans. 

Redescendant en rappel avec mes camarades d'infortunes, j’en viens même à me demander quel esprit débile, possédé par l’appât du gain, la Leroy-Merlinmania et la folie des grandeurs inversée, a pu investir pour refaire à neuf cette chose de haute altitude qui, au mieux, se prête pour dépanner. Ce mètre carré hors de prix du centre de Paris ne vaut objectivement rien.


On y a oublié une chose : l'humain. 

Illustration : Being John Malkovich. S.Jonze (1999)

22 mars 2011

Parce que tu le votes bien

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Sûr que c'est de la grosse, grosse vague, du tsunami force 1664 au baromètre de la bulle média. Des électeurs UMP ont voté FN, la belle affaire !  Ça mérite des prises de positions, des bisbilles pour occuper le terrain, des camemberts fluos pour capter le spectateur, des annonces de speaker tous les quarts d'heure pour amorcer des tunnels de piaillements avec du Thread au kilo et Barbier à la découpe. Déjà que l'on ne parlait pas beaucoup "projet" dans cette élection, avec le concept marketing de la "vague bleu marine"TM et son boomerang à polémiques façon talk-show avec vote SMS "pour ou contre le front républicain" réduisant une fois de plus l'élection à un référendum anti extrême droite ou anti extrême droite alors que l'on a une droite extrême au pouvoir : on va vraiment progresser.

S'il y a une leçon, désormais habituelle, à retenir du premier tour des cantonales : c'est le ras-le-bol, le sentiment du non-prise en considération au sommet de la dégradation d'un quotidien d'une masse de gens dans la mouise. Cela passe d'abord par l'abstention et, un peu, par le vote FN. Pour ce dernier, les motivations sont diverses, et à solidité variable[1], on aurait tort de penser qu'elles se cantonnent au cliché auquel on aime les réduire[2]. L'abstention est navrante, spécialement pour des enjeux locaux et, plus déprimant (à prendre avec les pincettes de rigueur car entendu sur un plateau télé de la bouche d'un sondeur au soir du scrutin) : on assisterait à une abstention massive (70%) chez les moins de 35 ans alors qu'elle n'est "que" de 40% chez les plus de 60 ans. En ne votant pas, tu donnes voix double aux seniors. Après faudra pas venir chialer que la société, elle n'est pas faite pour toi

Aux "tous pourris" que l'abstentionniste aime à plaider, opposons dans la même caricature le "que pour ma gueule" d'un peuple paresseux justifiant son absence d'un "gauche et droite c'est pareil". Non, il y a certes une mollesse politique, renforcée par le firewall médiatique d'obédience ultracapitaliste, à défendre les idées et les acquis décrochés par la gauche expliquant jusqu'à la dépréciation du mot dans l'inconscient collectif, mais non, dans l'idée, je t'assure, c'est loin d'être pareil.

Donc, bof, c'est toujours la même histoire. Montée du FN ou pas, la gauche de pouvoir doit reconquérir les préoccupations populaires, provinciales, peri-urbaines, qui lui font trop souvent défaut depuis dix ans et sur lesquelles, faute de futur, s'accélère la fuite en avant d'un discours sécuritaire et xénophobe (peu importe d'où il vient). Constatons néanmoins que, rapportée à la baffe UMP, avec ses apports négligés, la gauche se sort bien dans ce scrutin. Bizarrement, cet enseignement n'est pas la premier tiré par des médias décidés à faire du paquet de lessive qui lave plus blanc la tête de gondole de la démocratie.

Pour le reste, il est affligeant de constater - encore - que des politiques n'ayant pas réussi à déplacer plus d'un électeur sur deux en traitant la campagne (dans les deux sens du terme) par-dessus la jambe, brandissent maintenant du "front républicain" contre un parti épouvantail (et pourtant pas interdit, certains lui piquant même thème et rhétorique). Pensent-ils sérieusement qu'infantiliser de la sorte les électeurs contribuera à relever le peu d'estime que ces derniers leur portent ? 

Le vote doit constituer le résultat, non l'argumentaire.

* * *

[1] Façon ultime de remettre le FN à sa place : lui donner, effectivement, la gestion d'une ville (comme dans les années 90) ou d'un département. Quand les candidats fantômes de 93 ans auront la gestion des crèches ou du logement social. Là, on sortira de l'emballage pour discuter hardware et catastrophe.

[2] Je suis persuadé qu'il y a une partie de "jeu" dans ce scrutin. Pour le reste, je te renvoie à l'interview d'Erwan Lecoeur, filmée en octobre 2010.

Illustration : Martin Veyron.

20 mars 2011

La guerre S1E1

par
"Quand on ne croit plus à rien, rien de tel qu'une bonne guerre" disait ma grand-mère. Celle-ci est  télévisée entre Carré Viiip et Top Chef.  Elle a pour le moment la forme de discours ronflants. On y est bien à l'abri des bombes, on y joue le rôle des pacificateurs. 

Les entrées en guerre comme les victoires en foot me donnent de l'urticaire. Elles libèrent des radiations de chauvinisme dans l'air et mon compteur Gogol passe en Defcon 1. Avec le temps, j'ai appris à ne pas trop le crier sur les toits. Dans les périodes de morosité sociale et économique, il reste des domaines avec lesquels il ne faut pas déconner : drapeau, ballon rond et religion, en gros ce qui donne à l'occidental déboussolé, espoir et réconfort. 

J'ai donc éteint la télévision pour quelques jours, lassé par avance des déluges d'"offensive en Libye" avec infographies commentées par l'amiral Monzgègue et jingles anxiogènes entrecoupés de pubs pour des Seat à crédit et monte-escaliers pour seniors. 

Au lendemain du vote de la résolution de l'ONU, je restais dubitatif devant les réactions enthousiastes des anti-Monarque de la première heure. Cette euphorie patriotique au prétexte que notre président aurait impulsé quelque chose ? Fadaises. L'Amérique vise le pétrole et a laissé le troll, trop content, porter le chapeau de l'opé. Notre Monarque se soucie du sort des libyens comme de sa première Rolex : durant un laps de 20 secondes séparant le désir de l'acte d'achat. Il voit là l'opportunité d'un coup double : sortir les bijoux de famille (le porte-avions à 8 Milliards au nom du Général dont tout le monde se revendique et les Rafales français - pléonasme - du fils Dassault[1]) pour satisfaire un électorat chiffonné par son manque de carrure et les impôts qui augmentent, tout en passant pour le bon samaritain du monde arabe.

- Mais enfin t'es fou, il en va de la vie des insurgés libyens !

Comment s'y opposer ? J'entends bien. C'est là le piège de ces situations sans nuances, privilégiées par notre Monarque : "Soit t'es avec moi, soit t'es contre moi. Et moi, dans ce cas-là, malgré mon impopularité au top, je suis La France".  

Je n'oublie pas que la planète est un all-you-can-kill buffet permanent qui nous autoriserait tant d'autres "frappes ciblées" (aka patatages qui font des morts). Je n'oublie pas le pataquès afghan dans lequel nous sommes toujours embourbés. Je n'oublie pas ces JT d'enfance où l'on nous alertait déjà sur les dangers de l'odieux Kadhafi[2]. Pourtant, j'étais encore prêt à me rallier aux "forces du bien" 2.0 accordant une légitimité à cette intervention puisque des pays arabes (par ailleurs massacrant aussi de leur côté) y participaient. Seulement voilà, aux premiers bombardements, le soutien se lézarde.

La bombe-party va-t-elle tourner au feuilleton sans fin avec d'embêtantes conséquences (morts de soldats, de civils, d'enfants, retour du terrorisme) ? D'autant qu'instrumentalisées à souhait, elles peuvent bien faire l'affaire de notre Monarque. J'ai quelques craintes vu les références occidentales dans le domaine.

Enfin je peux me tromper, et je le souhaite.

En attendant, je m'en retourne aux sages paroles des anciens, en l’occurrence ma grand-mère, toujours elle. La brave disait :  "C'est plus facile de faire sortir le dentifrice du tube, que de le faire rentrer dedans."

Et puis, elle interrompait la conversation, reprenait sa télé-commande pour regarder son feuilleton. Elle se régalerait aujourd'hui avec cette TNT qui porte si bien son nom : du patriotisme en barre avec de la guerre "en live", et en HD, à commenter toute la journée.

* * *

[1] que son Papa appelait "l'idiot". in "Histoire secrète du patronat" de B.Collombat, D.Servenay  Ed.de la découverte. 

[2] Faut croire qu'on lui a trouvé des qualités pour le laisser au pouvoir 42 ans, malgré son body count. 

18 mars 2011

2012, les politiques et le logement #1

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Ils en ont un, n'en ont pas, peinent à le rembourser, cherchent en vain plus grand, se morfondent en taudis, étudient dans des chambres de 8m2, sont propriétaires mais précaires, se partagent un loyer dévorant les deux tiers de leurs revenus avec comme perspective d'y rajouter un jour le tiers restant : le logement est une préoccupation forte des français (la 4e parait-il), promesse de prospérité sans cesse repoussée ou  source de dépenses croissantes, de craintes et d'insatisfaction. 

En cette fin de trêve hivernale, histoire de "sonder" les intentions à un an du gros scrutin, j'ai visité les sites internet des principaux partis politiques, de gauche à droite, pour comparer leurs lignes directrices sur le logement. Rien n'est encore officiellement proposé pour 2012 et nous referons régulièrement le point. Mais, la forme et le fond nous renseignent déjà... 


1 / Les propositions du NPA : 
Sur le site, un dossier regroupe des articles pertinents sur le mal-logement et les efforts de l'Etat pour privatiser le secteur du logement social et pousser les ménages modestes dans la nasse du crédit. Dans le texte "nos réponses à la crise" clôturant le congrès de février 2011, le logement est considéré, au même titre que la nourriture, l'énergie ou l'éducation, comme un des fronts de l'offensive pour la garantie de l'accès aux biens communs. Le parti anticapitaliste se prononce pour "la création d'un grand service public du logement en expropriant les grands groupes de l'immobilier". Y voyant là "une condition pour proposer des logements bien isolés, sobres en consommation d'énergie".

Dans une fiche argumentaire, de fin 2009, on trouve des mesures plus précises : 
"- Construire 150 000 à 200 000 logements sociaux par an, de type prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) et prêt locatif à usage social (PLUS), accessibles à plus de 70 % des ménages résidant en France. 
- Arrêter les 300 000 démolitions prévues par l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU). Au nom d'une prétendue mixité sociale, on supprime des logements en bon état et bien situés, des 4 et 5 pièces, remplacés, quand ils le sont, par des logements plus petits et plus chers. Ces destructions et reconstructions coûtent 190 000 euros par logement alors qu'une réhabilitation ne coûte que 26 000 euros.
- Lutter réellement contre les logements et immeubles de bureaux inoccupés depuis deux ans, avec droit de réquisition.
- Arrêter les ventes de logements HLM et renationaliser les sociétés HLM.
Bloquer les loyers, pour aller vers des loyers ne devant pas dépasser 20 % du revenu.
- Augmenter le budget, renforcer le rôle de l'État et remettre en cause des décentralisations passées et à venir. Contrôle par la population des besoins, des constructions, des attributions."

Attaque multilatérale. Disons qu'avec l'application d'une ou deux mesures, on améliorerait déjà considérablement la situation. 

  


2 / Les propositions du Parti de Gauche et du Parti Communiste : 
Les députés du PG et du PC ont cosigné un ensemble de mesures sur le logement dans une proposition de loi déposée le 15 Mars 2011. Ce "programme d'urgence pour le logement et de lutte contre la spéculation immobilière" sera "le point d'appui pour le programme de Front de Gauche" selon Martine Billard (PG). 
PG et PC se prononcent pour :
"- Des mesures d'urgence : interdiction des expulsions pour les personnes en difficultés sociales ou financières, pour les foyers prioritaires ou en attente de réponse, interdiction des coupures d'eau et d'électricité pendant la trêve hivernale.
- Augmenter la construction de logements sociaux en mettant l'accent sur les plus sociaux (type PLAI et PLUS) et fixer le taux de logements sociaux de la loi SRU à 30% "dans les zones tendues" et "25%" ailleurs. Multiplier par 10 les pénalités en cas de non-respect de la loi SRU
- Pour le parc privé : encadrement réglementaire des loyers. Suppression de la caution, du mois de carence pour toucher l'aide au logement et rétablissement de son caractère rétroactif.
- Rétablissement du 1% logement à 1%, "contre 0,45%" actuellement. 
Rehaussement du plafond de dépôt du livret A (qui finance le logement social) de 15.000 à 20.000 euros. 
- Suppression de la taxe sur les bailleurs sociaux (votée dans le dernier projet de loi de Finances).
Renforcement de la taxe sur les logements vacants."


Le respect de la SRU, vu l'hétérogénéité des situations, risque d'être moins idyllique que prévu. Le PC et le PG misent sur la loi et de fortes taxes. Ils visent la rapidité via des lois d'urgence. Mesures concrètes mais flou sur le droit de préemption ou la saisie des locaux vacants (évocation d'une taxe, non évaluée).


3 / Les propositions du Parti Socialiste : 
Quand tu googleises "ps, logement" tu atteris sur deux courts clips. Au milieu des circonvolutions lexicales à base de "il y aura un atelier sur la question de la ville habitée spécialement consacré aux questions de logement qui pourra faire le point sur la façon dont on vit en ville et la façon dont on souhaiterait vivre en ville", je n'ai retenu que :

Le renforcement de la loi SRU montée à 25% de logements et un "peut-être se couper UN PEU des démarches spéculatives" du plus mauvais effet.

Une fois encore : même à 20%, certaines communes préfèrent payer une taxe plutôt que rentrer dans les critères et devoir côtoyer du gueux. On peut monter à 50 ou 100% de logements sociaux si ce n'est pas respecté et que les sanctions sont faibles : on n'avancera pas. Quant aux démarches spéculatives, elles ont multiplié par deux en dix ans les loyers de la ville où je suis né, où avoir un travail ne suffit plus pour résider, donc il faut mettre en oeuvre plus que du "UN PEU".

En grattant dans le texte "41 propositions pour une nouvelle société urbaine", on trouve une approche intéressante dépassant le seul logement individuel et intégrant une politique urbaine avec, par exemple, "une SRU des commerces et services", même si les deux premiers articles du texte "maîtriser l'étalement urbain" et "inviter les jardins et réserves vertes au cœur de nos villes" sont contradictoires[1].  L'exode des classes populaires, avec force propagande télévisuelle et tapis rouge bancaire, vers leurs pavillons à crédit sur des terres jadis cultivables à deux heures de transport des lieux de travail s'intègre à merveille dans la logique de purification sociale des centre-villes, bio et sécurisés où les thunés (de gauche, de droite et d'ailleurs) préfèrent rester entre eux.

"- Construire massivement des logements sociaux. 
Imposer un tiers de logements sociaux dans chaque nouveau projet de construction. 
- Faire un repérage complet des logements vides pour augmenter la taxe sur les logements vacants.
- Accroître les moyens consacrés à des réserves foncières disponibles [droit de préemption sur les bâtiments en vente ?]
- Agir pour stopper les dérives des prix de l'immobilier en encadrant les loyers à la relocation.
- Accroître les aides à la pierre pour la construction de logements sociaux.
- Garantir une remontée à plus de 70 % de la collecte du livret A à la CDC. [Les banques s'y opposent.]
Limiter l'accès aux prêts à taux zéro aux foyers modestes et moyens. [arrêter de filer des aides aux riches, c'est louable, endetter les pauvres l'est moins.]
Augmenter la taxe sur les logements vacants dans les zones tendues
Faire appliquer immédiatement la loi SRU."

Constats de terrain et bonnes intentions mais manque de punch au niveau de la dénonciation de "la France des propriétaires" (cf. la mesure sur les prêts, et sa formule tarabiscotée sur "les moyens fonciers disponibles"). Le PS prône plus de constructions sociales mais n'aborde pas la réhabilitation des logements vétustes. Ce serait pourtant à la fois plus économique et écologique. Proposition essentielle : imposer un taux minimum de logements sociaux sur TOUTES les nouvelles constructions.  
Cette semaine, un groupe d'élus PS a également annoncé le dépôt d'un projet de loi favorisant la reconversion des locaux professionnels en habitation. Avec une taxe applicable au bout d'un an de vacances et mécanismes incitatifs pour la rénovation.

 


4 / Les propositions d'Europe Ecologie / Les verts :
De par sa proximité avec "les enfants de Don Quichotte" ou le collectif  "Jeudi noir", auxquels des élus des partis précédemment cités ont apporté leur soutien, EELV semble en pointe sur la question du logement.  On trouve des articles et des tribunes fort bien inspirées dans la presse ou sur le site de leurs eurodéputés mais je n'ai rien trouvé sur le site national. Je me suis donc basé sur les propositions du groupe EELV en région Île-de-France : (rapport détaillé et chiffré en .pdf)

"Construction massive de logements sociaux et très sociaux. [avec obligation normes BBC, défendre l’accès aux familles avec 25% de grands logements]
Renforcement de la Loi SRU. (En Ile-De-France la région accordera dorénavant son aide à la construction de PLS - logement social intermédiaire - aux communes présentant plus de 40% de logements sociaux.)
Reconquête des espaces vides et lutte contre le scandale des vacances. Dispositif de conversion des bureaux vides (5 millions de m2) en logements grâce à une prime supplémentaire (1500 euros) pour chaque opération de transformation. Proposition du doublement de la pénalité sur les logements vacants et d'une mise en place d'un droit d'expropriation sur les logements en état de vacances anormalement longues.
Lutte contre la précarité énergétique, via la mise en oeuvre d'un service public de l'énergie et la réhabilitation de 200.000 logements chaque année. [aides à la rénovation dans le parc privé]"

En gros, les mêmes points que PG-PC et PS sur la construction et la loi SRU. Comme le NPA, EELV envisage le droit d'expropriation sur les logements inoccupés. La prime sur la reconversion des logements est une bonne idée mais 1500 euros par opé ne motiveront aucunement banques et assureurs (fréquents propriétaires des bureaux inoccupés). 

5 / Les propositions du Modem :
On trouve sur le site du Modem des textes dénonçant des politiques "qui ont écarté les plus fragiles et les classes moyennes de l'accès au logement" appuyant sur la réduction constante des crédits de l'Etat en faveur de la production de logements sociaux, stigmatisant eux aussi la "vision étriquée" du "tous propriétaires" et la spéculation qu'elle entretient, avec un appel à un "toit digne et durable". Mais... aucune proposition.

6 / Les propositions du Nouveau Centre :
Aucune proposition trouvée dans le domaine sur le site du NC.

 
7 / Les propositions de l'UMP :
Vous trouverez dans mes billets un condensé des mesures de l'UMP en matière de logement. Elles se résument à trois : endetter les classes moyennes avec la complicité des banques, engraisser les classes supérieures grâce à moult aménagements fiscaux jugés "discriminatoires" par l'UE, dégager par la loi tous les autres. Pas de page dédiée sur le site. A l’occurrence "logement", on retrouve un panégyrique des mesures passées.

Dernière mesure plébiscitée : l'annonce d'une taxe sur les loyers abusifs des petites surfaces. Louable dans l'intention, cela ne concernerait que les surfaces inférieures ou égales à 13m2 (le minimum légal est 9m2) avec un loyer supérieur à 40euros / m2 (Zut, j'habite dans 25 et ne paye que 33euros du m2, pourvu que je vive encore plus mal et paye plus pour enfin payer moins). Nous n'avons pas le montant de la taxe. Ce type de surface concerne essentiellement les étudiants et, s'ils peuvent louer à ce prix-là : c'est souvent que les parents raquent derrière. Voyons-y un impôt supplémentaire sur une transaction entre gens solvables et non une mesure combattant le mal logement. Une fois le vivier d'étudiants asséché, les propriétaires parisiens de ces surfaces se tourneront à leur tour vers l'hébergement pour touristes avec réservation en ligne qui leur permettra de louer à 100 euros la nuit (Ce Formule 1 de crise "à la mode auto-entrepreneur" en centre-ville se multiplie de Londres à New-York en passant par Paris). D'autant que Benoist Apparu veut empêcher le groupement des chambres de bonnes. Oui, le projet est bien de continuer à faire vivre les jeunes dans 9m2. Comme Christine Lagarde, il annonce également le lancement d'un site pour comparer les prix. Yo Benoist : ça existe déjà depuis 10 ans ! Ça s'appelle Seloger.com (et quelque chose me dit que tu n'y vas pas souvent.)  

Pour le reste, je te renvoie au site heureuxproprietaire.com, synthèse de l'idéologie gouvernementale s'arrêtant malheureusement au stade premier âge : "couleurs vives, mensonges et attrape-gogos".
8 / Les propositions du Front National :
Ça se trouve en deux clics (A méditer pour les autres partis). La clarté apparente masque un survol de la problématique selon deux axes : suprématie de la propriété privée et les critères famille / nation sur le logement social (en sursis). Le FN veut "mettre en place une véritable politique d'accession à la propriété des familles françaises." Mais "Revaloriser les PEL et CEL" est la seule proposition.  Et de prévenir : "Le locatif, social ou non, doit être une étape dans le parcours menant à la propriété, non pas une forme permanente d'habitat." Pas de doute, on est à droite. Même droite libérale : "Le développement de la propriété a pour but une responsabilisation accrue, gage d'un meilleur entretien et donc de moins d'interventions publiques et une solvabilisation des ménages en les aidant à se constituer un patrimoine." En décodé, le logement social c'est beurk et ce sera de pire en pire. Pour ce qui est du privé, Le FN veut renforcer les garanties pour le propriétaire.

Parmi les propositions :
"-  Favoriser la mixité intergénérationnelle plutôt que la mixité sociale." [Bah oui, Papa pauvre et fiston pauvre ensembles c'est mieux.]
- "Remettre à plat le système d'aides au logement[...]pour le rendre strictement soumis aux conditions de ressources et à la situation familiale des familles françaises." [Comprendre : dehors les célibataires, les homos, les divorcés et les sans-papiers].
Assurer la transparence dans les procédures d'attribution des logements sociaux : réunions des commissions d'attribution rendues publiques, listes des bénéficiaires disponibles dans les mairies." [Transparence dans les critères d'attribution : pour. Citer les noms : contre].
"- Conditionner toute location d'un bien privé à un « contrôle technique » vérifiant les normes d'habitabilité du logement et le niveau du loyer demandé. [Celle-ci tombe comme un cheveu au milieu de la soupe mais mérite qu'on s'y intéresse.]
Réformer la loi SRU. [dans quel sens ? Mmm, j'ai ma petite idée].

Conclusion (provisoire) : 

1 / A droite. Absence de remise en cause des déséquilibres actuels. Au contraire, on tambourine son contentement et l'on prône la domination idéologique du propriétaire et la séparation de classes, pour ne pas dire plus. Notons également que le terme "mal logement" se fait discret.

2 / Au centre une absence, provisoire, espérons-le. 

3 / A gauche, malgré des variantes dans les modalités et les priorités, la thématique est considérée à la hauteur du problème et des propositions crédibles pour un logement plus accessible, de meilleure qualité et moins coûteux, s'entrecroisent du NPA à EELV. Dans ce domaine au moins, l'unité serait possible autour de quelques mesures phares.  Priorités communes constatées : 1 / construction de logements sociaux. 2 / renforcement de la loi SRU. 3 / encadrement des loyers privés. 

* * *
Esquissons ici un programme de synthèse, purement personnel, s'inspirant des idées des uns et des autres : 

- Mesures d'urgence : interdiction des coupures d'eau et d'électricité pendant la trêve hivernale.
- L'encadrement progressif des loyers à la relocation lié à un "contrôle technique et énergétique" entre chaque location. 
- Dissuader par une forte taxe la possession de résidences secondaires, logements et bureaux vacants dans les zones à forte densité.
Saisie des logements vacants depuis cinq ans.
- Dans le cadre d'une reprise en main des organismes de logements sociaux par l'Etat et d'une sécurisation de l'affectation des fonds du livret A : un programme ambitieux, chiffré, de construction de logements sociaux (et pas au fin fond de la Nièvre), couplé à l'impératif de mixité sociale sur les nouvelles constructionsla réhabilitation des logements vacants et des taudis (dont la saisie est possible) avec en perspective, à 10 ans, un logement pour tous.[2]

A toi de compléter.

 
[1] à moins de construire en hauteur.


[2] j'avais évoqué le droit à un "quota de m2" par habitant, à la naissance, mobilisable ou pas.


P.S : Nous parlerons de l'entrée française in extremis en logique de guerre une prochaine fois. Le côté urgence de l'information (lui donnant depuis peu la saveur des plus palpitants épisodes de 24 heures avec cliffhanger quotidien) tend à ringardiser au bout de deux heures la moindre analyse. Mon sentiment : toute euphorie générale à souvenirs courts m’emballe moyen.

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