28 février 2011

Différent pas pareil

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Est lancé ce jour un site "facilitateur d’accés à l’informationnommé Atlantico. Libéral et décomplexé, entre Causeur et Le Figaro, on y retrouve entre autres contributeurs Paul-Marie Couteaux ou Sophie De Menthon de la FBNEADSOFCSCC, fucking brand new edgy auto-doped school of ça suffit comme ça.  Pas de mal, tout se lit, se démonte, même si d’un point de vue stratégique on peut se demander s’il n’y a pas désormais un peu de bourrage photocopieuse dans les médias au niveau "droite décomplexée".

Avec, entre autres exemples, l'arrivée d'un Longuet au gouvernement, je m’interroge même sur la  survivance d’un quelconque «complexe» à droite hormis peut-être celui d’avoir à subir au quotidien (après avoir voté pour) un président de la République qui aura plus ravagé l’image de celle-ci en trois ans que ces prédécesseurs réunis en un demi-siècle. 

Anticipant le bizutage à l'huile de friture sur twitter le jour de son lancement, Atlantico met en avant assez judicieusement une revue de presse de blogueurs intitulée « les blogueurs ont la dent dure » au sujet du quatrième remaniement monarchique en moins d'un an et qui restera dans les livres d'histoire comme celui "de la terreur et de la gène que provoquent chez nos gouvernants ce gout prononcé des peuples arabes pour l'émancipation, mais que l'on va foutre dehors avant même qu'ils n'arrivent, parce qu'ils vont venir on est tellement tolérants et trop beaux, même qu'on leur refourguera du matos à crédit pour leur apprendre la modernité à ces empêcheurs de partir en croisière en rond, d'ailleurs à propos de modernité, je remets les mêmes ministres qu'en 1993. Je sais : c'est un signal fort que vous attendiez"

Nous constatons la présence de billets de blogueurs, tendance catho-libéraux.  Et là, je m’interroge - odieux apologiste de la concurrence libre et non faussée que je suis - sur la rémunération de ces pourfendeurs de subventions publiques ? Ce point fut éclairci lors de la conférence de presse matinale du média bleu : seuls les rédacteurs et les éditorialistes sont payés, pas les contributeurs. S'il est encore trop tôt pour se prononcer sur le "modèle éditorial différent" du site, en revanche le "business model" n'est pas novateur : faible investigation (c'est revendiqué) et on y cost-kille le blogueur

Ceci étant posé et sans préjuger de la qualité du site... nous voyons déjà se dégager certaines tendances au détour d'un article - pas payé donc - sur la misère en France bordé de publicités pour des banques en ligne. 

(clique pour agrandir)
Lecteur d'Atlantico et dans la galère, blogueur peut-être, qui sait ? Tu sais ce qu'il te reste à faire.

26 février 2011

La société du spectateur

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Nous franchissons chaque jour une étape rendant plus improbable le voyage retour,  agrippés au souvenir de ces années où tout allait bien. Cette époque a-t-elle seulement existé ?
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Dans le goulot d'étranglement du progrès forcé, même les radicaux se claquemurent dans leurs salons carrelés aux encens sophistiqués. Tous ensemble, nous consentons au mouvement, le samedi après-midi, congestionnant rocades et parkings. Tant qu'il y aura un minimum de confort, il n'y aura guère plus d'efforts. L'insurrection, produit d'appel, s’achète 3 euros chez des marchands milliardaires et s'offre entre instruits au pied du sapin. On en a parlé sur un plateau à paillettes, devant un papier peint de public, lors d'une passe d'armes entre universitaires du dernier mot et fille de chanteur. "Fasciste !", "stalinien !" et "achetez mon Blu-Ray !" s'y applaudissaient d'une même transe. 
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La régression des libertés, l'étau de l'austérité, la lyophilisation des idées passent comme dans du beurre, à croire que nous sommes demandeurs. Il y a encore de la marge. Nous pouvons aller encore plus loin dans la souffrance, nous le savons bien.  Après tout, nous en avons déjà assez subi pour nous révolter mille fois mais, avec la régularité d'un salaire par virement ou d'une traite à régler, nous ne hurlons jamais. On le justifie d'un : "ça ne sert à rien". Tandis que la financiarisation siphonne l'espoir, que l'actionnaire là-bas biffe les vies ici, nous, les "moyens", la peur comme moteur, nous concentrons nos forces à nous épier. 
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"Moyens", nous nous déterminons ainsi, nous dédouanant de toutes les responsabilités dans le déroulement des évènements. Isolés sans classe, nos signes de ralliement : des objets. Pour se les payer et ne pas sombrer - il en va de notre identité -, nous nous laisserons bientôt aller à manger de la poussière "pourvu qu'elle ne soit pas chère". La victoire du marché, même quand il échoue à nous rendre mieux, est complète, son étendard planté par-delà la dernière frontière, en nos âmes. Il modèle le présent, certifie l'après. "Pas d'alternative !" sort du tube la pensée à tartiner : "trois milliards d'humains tueraient pour être moyens à vos places feignasses !"  
*
Oh, nous ne perdrons pas tout tout de suite et pas tous à la même vitesse. Certains y voient d'ailleurs la cause fondamentale de l'inertie nationale. Les jeunes sombrent comme ils vivent  : volontaires, silencieux et ignorés. Les vieux poursuivent leur adolescence. Nous autres, les "moyens du milieu", restons soumis à nos activités rémunérées, tant qu'il y en a, grattant jusqu'au sang nos angoisses pour y trouver une trace de sens. Le soir, l'imagination à quatre touches - 1, 6, volume moins, volume plus -, nous nous vidons de nos vies via l'écran en plongeant dans celles de nos voisins, compagnons de centres commerciaux, concurrents de postes, souffres-douleurs ou supérieurs hiérarchiques, ces ennemis de proximité dont nous ne prendrons jamais le risque de trop diverger.
*
D'une saison l'autre, la première compagnie récolte nos détresses télégéniques, les recrachant dans des programmes marathons coupés aux réclames mêlant cul, cupidité et gamins gâtés, à la gloire du glamour, de la belle vie, du poker et du crédit, de l'accomplissement formaté déversé par barriques sur la braise de nos frustrations honteuses.  Ces caricatures nous sidèrent : des existences malaxées dont la perspective, l'unique réponse aux drames, est de passer sur nos plasmas 3D à l'image plus précise que la réalité. Nous jurons chaque soir de ne plus y revenir. Moqueurs et grimaçants, nous nous effaçons devant ce spectacle de la société, un peu sales mais rassurés l'écran éteint d'être des privilégiés. "

Illustration : Poltergeist / T.Hooper (1982)

22 février 2011

On les appelle banquiers

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En France, on a plus de pognon mais on entreprend. 

Une escroquerie financière pyramidale vient d'être démantelée à Lorient : un petit Ponzi des familles tout rikiki pour à peine 25 millions d'euros à se répartir entre trois potes. Durant 6 ans, 200 personnes sont entrées dans la danse de la Breizh for Bank, plaçant de 10000 à 1 million d'euros. Chaque client touchait ses intérêts grâce au cash des nouveaux entrants. Bref, un sympathique mini Maddoff-scam nous prouvant encore que la cupidité n'est pas l'apanage des grandes fortunes et des traders zélés, loin de là. 

Ce délit sera-t-il repris par notre Monarque pour sa campagne "1 fait-divers, une loi" ? Espérons-le pour les victimes. Même si dans ce cas précis, je n'ai aucune pitié pour ces nigauds désireux, comme tout bon actionnaire de fonds de pension à Boca Raton, de faire de la rentabilité annuelle à deux chiffres en se tournant les pouces alors qu'à deux pas des familles crèvent la dalle, sont mal logées et que des PME ferment faute de soutien financier de quelque milliers d'euros. 

Curiosité : en plus de l'inculpation pour escroquerie en bande organisée, la bande est accusée d'"exercice illégal de la profession de banquiers". Pourtant. Avec 3 millions d'euros, une belle ribambelle de pigeons qui se font prendre de l'argent pour payer les intérêts des autres et des promesses de lendemains heureux, ils disposaient du montant minimal, du fonds de roulement requis et du savoir-faire nécessaire.

Pendant ce temps, d'autres larrons ayant pignon sur rue, à la tête d'une affaire plus florissante que jamais malgré le manque de thune général, sévissent toujours, empruntant à 1.5 à la BCE pour vous refourguer du crédit à 4, 9 ou 17 (statut faisant défaut à nos Ponzi du Morbihan), s'entendant entre collègues pour multiplier les frais "d'intervention", de "tenue de compte", injustifiés et illégaux, au point d'exploser les records de la part de l'activité "banque de détail"[1] dans leurs supers bénéfices de l'année 2010, après avoir été sauvées du collapse avec l'argent du citoyen (Maddoff de St-Malo ou Fortis du Bruxelles, c'est toujours lui qui paye).

Et quid des filiales (bon, elles appartiennent pour deux tiers à la même banque) qui actionnent quotidiennement le jackpot à gogos sur le dos du client fauché via les crédits à la consommation et autre revolving conçus pour ne jamais être remboursés, tout en les incitant avec des publicités racoleuses qui mériteraient des barrées de mentions "s'endetter tue" et de photos de poumons vérolés ?

De là à dire que ce sont les banquiers tels que nous les connaissons, multi-récidivistes agissant en toute impunité, qui font un exercice de profession illégale...

* * *

[1] +17% pour la SocGen, établissement qui devait "couler" avec Kerviel (encore un breton sûrement).

A visionner : le reportage de Ouest-France, après bien sûr, un spot pour la BNP.

Le pearltree "Banksters à la petite semaine" :
Banksters a la petite semaine

21 février 2011

DSK et les couloirs du temps

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Nous ne pouvons garantir que Dominique Strauss-Khan ait su parler à La France d'en bas (ou de dehors, le terme est plus juste) hier soir sur France 2 mais, d'un point de vue machine de com', la séquence teaser du week-end  « retenez-moi où je fais un malheur aux élections » du candidat potentiel à la présidence sera notée 9/10 dans les écoles de media-training. Oui, il manque un point, nous notons une baisse de régime lorsque le journaliste lui demanda ce qu'évoquait pour lui le mot « socialisme ».
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Le barnum (occultant la Libye) autour de la venue de l'homme du FMI à Paris (pour un G20 aux oubliettes) nous (re)confirme par l'exemple le besoin médiatique d'une figure d' « homme - femme - providentiel(-le) ». Poussé par des rédactions qui ont besoin de "feuilletoner" à des fins publicitaires, c'est le gros travers de la Ve république "en campagne" privilégieant l'incarnation du pouvoir (même si c'est important) au programme (même si c'est fondamental).
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Cette frénésie à jouer les élections de mai 2012 dès février 2011, avec force sondage, est d'un risible consommé : à l'image de la cadence imposée à l'information pipolo-politique par notre Monarque au soir du 6 mai 2007.  Dans ce vortex de l'info, la stratégie de DSK, se servant de l'excuse FMI pour taire ses intentions et son programme, distillant des allusions aussi cryptiques qu'un scénario de David Lynch, en est le contrepoint total.  
Quelques jours plus tôt, sortait un essai d'un proche collaborateur de DSK. Dans « la dictature de l'urgence », Gilles Finchelstein (directeur de la fondation Jean Jaurés) disserte sur notre rapport au temps. Même si son nom n’apparaît qu'a à la page 148, on est tenté d'y débusquer des « indices » si ce n'est sur le programme au moins sur le mode de gouvernance du candidat DSK :

« Telle sera l'alternative de 2012. Contre la dictature de l'urgence, le choix du temps long. Davantage que donner du temps au temps, la priorité est de donner du sens au temps. » P.26

Le constat est le suivant : avec la brusque montée des nouvelles technologies de communication affectant aussi bien notre quotidien, les techniques de management, que l'information média et la fluidité à la nanoseconde des flux financiers, nous vivons une accélération du temps dont l'élection du Monarque est la conséquence.

Impératif de rentabilité (gestion d'entreprise purement actionnariale détruisant le salarié), développement du "multitâche" (le cerveau comme système d'exploitation upgradable porte d'entrée à la notion de "flexibilité", tu es coupable de ne pas faire 10 choses à la fois et de ne pas être assez souple sur tes horaires), impératif de disponibilité (ordinateurs mobiles, téléphones portables et Heil-Phone, ce merveilleux outil à jouer au Tetris pour 45 euros par mois, tu seras bientôt coupable de ne pas être joignable tout le temps) : la société vit sous stimulation permanente, réduisant quotidien et perspectives aux logiques de court terme au bénéfice du marché. Au final, le néolibéralisme a réussi sa théorie du ruissellementcelle du stress et de la précipitation :

Dans l'entreprise, c'est la gestion par les objectifs avec une cascade d'intermédiaires hiérarchiques drivées à la carotte et au bâton, avec les dramatiques conclusions que l'on connait.
Exemple : La récente vague de suicides chez un opérateur de téléphonie est le résultat d'un plan pour pousser à la porte des salariés quinquagénaires « trop payés » afin de satisfaire l'actionnaire. Opération de court-terme, contre-productive en plus d'être inhumaine, qui causera des morts, ternira l'image de l'entreprise et lui coûtera au final 1 milliard d'euros (alors que la pyramide des âges indiquait que les salariés "à dégraisser" seraient massivement partis à la retraite en 2012).

- Pire... La logique du toujours plus vite, toujours plus rentable, a gangrené la vie privée.
Je les croise de plus en plus souvent, en salons Damidos et centres-commerciaux. Des jeunes couples se plaignant de leur salariat mais terrorisés à l'idée de ne rien faire de leur temps libre. Hors du boulot, un temps mort est un temps perdu. Idem pour leurs enfants surstimulés qui ont l'impératif d'être trilingues à 4 ans. Cela s'étend, évidemment, à la consommation et culmine lors des soldes où l'achat de la chose décrétée « pas chère » (en comparaison d'un prix initial surévalué) devient indispensable, pas pour ce qu'elle est mais pour son prix, l'objet tout autant que « l'affaire » devenant un sujet de socialisation. Chez eux, « l'urgence » est un carburant quotidien, contrastant d'ailleurs parfois avec une vie professionnelle où ils font état d'un ennui profond et d'une accablante perte de sens sur laquelle ils ne peuvent mettre les mots. Retirons-leur la vitesse et ils perdent l'équilibre. Dur de les convaincre des bienfaits de la « prise de temps » alors que le mot « retraite » est chez eux, par large contamination médiatique, déjà vu comme une menace. « Décoloniser leur imaginaire », comme dirait Serge Latouche, ne sera pas une mince affaire. La précipitation à agir "parce qu'il y a péril" est un discours qui leur parle, et les sbires du néolibéralisme y son  systématiquement recours pour abattre les uns après les autres, tous les sanctuaires.

- Pire de pire... La logique court terme de l'actionnaire ayant progressivement contaminé le mental des salariés,  en retour, ils ont voté pour le candidat du mouvement permanent. Le Monarque, dont l'argument d' « agir » justifie souvent à lui seul l'action, est l'incarnation politique de ce refus de la distance, de l'analyse, de la réflexion, du "pas de côté" … bref de l'intelligence. C'est le triple théorème, à fort pouvoir contaminant, de l'UMP 2.0 :

Immobile = rétrograde. Action = modernité. Modernité = mieux. 
Ceux qui ne bougent pas = ringards. 

Dans ce monde "du coup d'avant" sans fin, l'action compte plus que le résultat, l'agitation plus que l'accomplissement. Faire suffit, ne rien faire est une angoisse. On le voit encore aujourd'hui dans l'argumentaire d'un François Baroin suite à la prestation de DSK dimanche soir :

F.BAROIN
« - Je pense que le mandat de N.S aura été un mandat UTILE au pays. Il aura créé un MOUVEMENT et il faudra poursuivre cette ACTION. »

Encore et toujours, la ligne est "nous sommes parce que nous faisons". 

Pourtant, preuve est régulièrement faite avec ce gouvernement qu'un enfilage de décisions ne suffit plus, s'il n'y a pas un échéancier et une évaluation régulière (exemple dans la justice où les lois d'urgence - heu de marketing - s'empilent au moindre fait-divers, sans évaluations ni effets. Il n'y jamais eu autant de lois votées en urgence alors que leurs décrets d'application sont de plus en plus longs. Sur les 59 lois votées en 2009, seulement 3 sont aujourd'hui concrètement appliquées.)

Si ce mode de gouvernance, cette "accélération au carré", permet de faire illusion dans une théâtralité en flux tendu de l'action (servie sur un plateau par le soap-opéra de l'info), il produit en continu son «obsolescence programmée». A moins d'éradiquer le processus électoral, vient un moment où Le Monarque sera jugé sur les résultats de son "mouvement". C'est la période dans laquelle nous entrons. Le piège qu'il a confectionné se referme sur lui. A force de se projeter en avant dans un temps court, sur la longueur il s'essouffle : les conséquences et les non-conséquences de l'action pour l'action devenant de plus en plus visibles par tous (cf : les explosions de colère des corps de métier aussi divers que juges, instituteurs, policiers, urgentistes et même CRS, qui ont ce point commun d'avoir des budgets coupés contredisant les discours volontaristes du Monarque). Et ce ne sont pas quelques interminables  interventions télévisées sous cloche qui renverseront la vapeur. Au-delà de la gestion hiératique et de l'explosion du chômage, que restera-t-il comme trace concrète, comme construction[1] et non comme destruction, du quinquennat monarchique ?

* * *
Au fond, le problème du temps, et cette sensation permanente d'en manquer, a plus à voir notre incapacité, notre peur, de hiérarchiser. Cette accélération a ses avantages, eux aussi à court terme. La tête dans le guidon, elle permet à chacun de s'éviter l'introspective quitte à être en « over burning », ce qui par traces résiduelles d'idéologie des années 80, couplées à un fond de morale chrétienne, est encore stupidement mieux considéré que de buller à la fraîche à lire du Rousseau. Dans nos vies quotidiennes comme dans la politique, c'est moins le temps qui manque que des décisions tranchées, suivies dans la durée. Nous sommes devenus dépendants de la rapidité et de l'esprit zapping. Plus rien n'imprime chez personne. Ce manque de prise sur le temps, juste pour dire "non, pas besoin de se presser" est paradoxalement le ferment de notre paresse à influer radicalement sur nos destins personnels et collectif.

Pas étonnant d'ailleurs qu'un autre livre (que je n'ai pas lu), sorti ces jours-ci, s'appelle "La révolution ? On s'rappelle".

* * *

Pour en revenir à l'essai de G.Finchelstein qui m'a inspiré cette note, "donner du sens au temps" serait donc en partie, un des axes de gouvernance de l'éventuel candidat DSK.  


Intéressant mais un peu léger pour le moment.  

1/ Les français s'informent en temps réel hors des canaux traditionnels. Révolutions populaires embrasant les peuples arabes, contrecoups dévastateurs en Europe des politiques de rigueur (inutiles, on en revient à l'urgence) engendrées par les aides du FMI et révolutions constitutionnelles, sont connues du consommateur-électeur même si les médias en parlent peu. Le candidat socialiste, quel qu'il soit, ne pourra faire l'impasse sur ces "données associées" du débat interne :  elles vont percuter La France. 
*
2 / Alors qu’il ne cesse d’établir dans son livre que l’urgent et l’argent sont liés, G.Finchelstein ne revient pas sur la thématique du « pouvoir d’achat ». Le désir d’argent a été au cœur de l’élection de 2007, et les français étaient alors près à sacrifier du temps "travailler plus" pour en obtenir. La situation ne s'est pas arrangée sur ce front et il y a réellement des situations sociales d'urgence (logement, réduction des inégalités salariales, contrôle stricte des dérives financières...) dans ce pays. A ce titre, la stratégie du "je vais vous donner de l'argent" peut très être encore resservie par le même chef de rayon.

Si "le silence est une arme exceptionnelle"[2], le cash est l'arme ultime.

* * *

[1] je veux dire à part un avion à 300 millions d'euros ?

[2] entretien avec G.Finchelstein, 15.02.2011

[update 22.02.2011 : rendons à Latouche ce qui appartient à Latouche, bien qu'Ariès y fasse souvent référence.]

14 février 2011

Trop riche pour te taxer

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Reconnaissons à la droite sa constance fiscale. Malgré 4 millions de chômeurs, 8 millions de pauvres et bientôt 10 ans aux manettes, elle reste fidèle à sa ligne : réduire les impôts des plus riches (et défoncer la gueule des autres). 
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François Baroin, ministre du budget, et Gilles Carrez, rapporteur à l'Assemblée Nationale, fredonnent en coeur depuis 48 heures, la possibilité d'un relèvement du seuil d'entrée de l'impôt sur la fortune qui passerait de 790.000 euros de patrimoine à 1.3 millions (pour un coût de 900 millions d'euros). 
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En matière de cadeaux fiscaux, il faut roder son slogan et tapisser en amont les cerveaux (la réforme fiscale sera présentée en mai) afin que les troupes mises à contribution (un gros segment de la classe-moyenne) soient convaincues que, vraiment, "l'impôt des riches, c'est trop injuste".
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Dans le cas du relèvement de l'ISF, nos compères mettent en avant la cruelle question des propriétaires :
«La valeur de leur logement s'est envolée, sans aucun lien avec l'évolution de leurs revenus » explique Gilles Carrez dans Les Echos. Oui, tu as bien lu, il est urgent d'exempter ces êtres malingres et sans défense pris dans les phares de la spéculation immobilière individuelle et débridée car, colossal malheur, la pierre a trop monté et les riches sont malencontreusement trop enrichis (en ne produisant rien). Dur. Quelle sera la prochaine étape ? Si l'immobilier baisse, Baroin leur rendra-t-il de l'argent ? Possible. Question subsidiaire : vu que son loyer augmente aussi, le locataire va-t-il aussi se voir octroyer un petit rabais fiscal ? Peu probable.
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Non satisfait de ne pas cadrer l'immobilier et de ne pas limiter la folie foncière qui détruit les plus faibles, éparpille les modestes, les isolant géographiquement et/ou les poussant à s'endetter toujours plus longtemps, nos experts de la rente, pourfendeurs rhétoriques de la gauche "ultra-caviar" (alors qu'ils n'ont de cesse de le servir à grands saladiers, et avec courbettes, aux plus grosses fortunes de ce pays) veulent désindexer la flambée immobilière du calcul de l'ISF.  OK, certains propriétaires concernés n'ont pas acheté pour "jouer au casino foncier" mais nous ne voyons aucune priorité, si ce n'est électorale[1], de les exempter d'une logique foncière dont ils jouissent et que les autres subissent.
( - Tout ça c'est bien beau m'sieur Baroin, mais pour la défiscalisation des travaux d’agrandissement de la loggia on fait comment ?)
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Ce n'est pas ce type d'exonérations immo (carrez propose 500.000 euros de décote rien que ça) qui rabaissera le prix du m2 de certains quartiers inaccessibles au commun des mortels. Là aussi, reconnaissons une constance de droite : elle entreprend tout pour maintenir les prix du secteur à la hausse :
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1 / que les biens de son électorat ne se déprécient pas à l'argus. 
2 / que "le dynamisme" des banques soit maintenu, quitte à vendre aux insolvables. On y vient peu à peu. (cf. le PTZ+ et la privatisation rampante du parc locatif social.)
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L'autre motif de Carrez pour le relèvement de seuil : exonérer "les classes moyennes, sans parler des très nombreux contribuables qui ne font pas de déclaration mais sont très proches".
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Précisons que le patrimoine moyen des français se situe aux alentours de 165.000 euros (ce qui me parait déjà bien haut) et que le "qui ne font pas de déclaration" est une euphémisme pour "qui fraudent massivement". L'ISF étant un impôt déclaratif, là où le petit contribuable avec sa déclaration préremplie a toutes les chances de se faire chopper pour un écart de 30 euros, le propriétaire retraité (qui bénéficie déjà d'un abattement de 10% sur ses impôts) qui a acheté sa maison dans les années 70 pour finir de la rembourser, sans douleur grâce à l'inflation des salaires, dix ans après (qui est donc assis sur un gros tas de thune pour peu qu'il soit dans un coin "prisé", c'est à dire bientôt partout vu qu'il y a pénurie organisée) peut sciemment en sous-évaluer la valeur et ne pas payer l'ISF (rien de plus simple puisqu'il faut que les services fiscaux établissent un comparatif entre deux biens rigoureusement identiques - ce qui arrive rarement - pour exiger son règlement).  Là aussi, étonnons-nous que, contrairement à son habitude sur le durcissement de la loi et le renforcement des contrôles, la droite songe à cette amnistie déguisée au prétexte qu'il y aurait trop de fraudes, euh pardon... trop peu de déclarations d'ISF. 
Bref, l'UMP tente de convaincre les classes-moyennes de la suppression d'un impôt que la majorité d'entre elles n'a aucun risque de payer (mais bon, tant qu'elles baignent dans le délire de l’éternelle hausse, elles ne s'épargnent aucun espoir), en offrant un joli cadeau à une tranche d'électeurs (les "riches pauvres" ou "pauvres riches") disposant d'un niveau de vie plus que confortable, tout en octroyant une ristourne supplémentaire aux très riches de ce pays, déjà proportionnellement moins imposés que les smicards. (35% pour le très riche - voire beaucoup moins s'il a l'aide, et il l'a toujours, de bons avocats fiscalistes - contre 45% pour le type au smic).
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Au passage est encore véhiculée l'idée que l'impôt est un boulet, qu'il tue la compétitivité, détruit la couche d'ozone et égorge les enfants.  Les impôts ce sont d'abord des hôpitaux, des écoles, des enseignants, des routes, des infrastructures de qualité... Si cela a tendance à partir en breloques et à en mécontenter certains (note que la propagande de l’impôt trop cher va de concert avec celle d'un service public médiocre), ne pas oublier que le gouvernement orchestre ce mouvement.  Il détruit le service public, organise sa désorganisation pour le vendre à prix cassé, à la découpe, à ses poteaux du privé.  L'autre constante action d'une droite,  il est vrai très "cohérente".
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Quand le pays en sera arrivé là... non seulement tu ne paieras pas moins d’impôt, mais il est fort probable que la version relooké "moderne" et compétitive de notre service public évaporé te coûte deux à trois fois plus cher. Vu et vérifié dans ces pays sur lesquels il faudrait s'aligner

* * *

[1] A l'approche des présidentielles, dans un contexte de défiance, chaque voix de l'électorat chouchouté, mais dérouté, compte : du golden-retraité (à 4X4 et siège de baignoire automatisé pour déguster sans effort, drapé d'un tapis de bulles de savon bio, le "C dans l'air" spécial les français ne sont pas assez productifs) aux jeunes couples visant l'enrichissement par le pavillon en plâtre, bâti sur marécage, payable en deux fois 30 ans de soumission salariale.  


[update 15.02.2011 : Le Monarque déclare qu'il veut supprimer l'ISF. Au moins c'est plus clair, bien qu'il contredise son ministre du Budget en moins de 24 heures, mais on n'est plus à ça près.


[update 2 15.02.2011 : le même jourla justice ordonne l'expulsion du collectif Jeudi noir du bâtiment de l'avenue Matignon qu'il occupe depuis décembre.]

11 février 2011

Obsolète

par

"La proximité de Nicolas Sarkozy à l'égard des préoccupations quotidiennes des Français souligne sa capacité d'écoute, de dialogue et sa franchise." - François Fillon, communiqué 11.02.11

L'actualité à flux tendu des colères populaires égyptiennes faillit bien lui voler la vedette et casser son émission sur mesure. Mais il en fallait plus...

Hier soir, Le Monarque a parlé. Au moins une heure de trop. Figé quelque part dans le fantasme d'une France du début des années 70, avec la jeunesse en horreur et le vieil électeur apeuré dans le viseur, au fil de l’exercice dépassé de propagande poussiéreuse, lubrifié par un cireur à carte de presse, devant un panel alibi de 9 français censés justifier par leur présence la sincérité survendue du commercial moins sur de son produit qu'à l'accoutumé, il a laborieusement déroulé le catalogue des "valeurs" qu'il n'a eu de cesse de piétiner avant même d'arriver au pouvoir : travail, justice, solidarité et sécurité.

Esquivant tous les sujets "hors cadre" ou qui fâchent, s'auto-posant des questions et répondant à des questions qu'on ne lui posait pas, sermonnant ses contre-vérités rehaussées à point nommé de statistiques ripolinées, le sire autiste s'enfonça, crispé sur le guidon, dans d'interminables monologues. Tentant en vain de nous persuader qu'il a le vent de la criseTM dans le dos, par quelques coups de dérailleur expert, l'entêté alterna à cadence soutenue les promesses aux mensonges, avec passage par l'incontournable balise du Point Laetitia (ah ces faits-divers, à se demander de quoi il pourrait bien parler sans eux !). Mais, l'apologiste du mouvement et de l'urgence parut bien rigide, ensuqué dans la contre-productivité criante de ses formules passées.

Paillassonant ses pompes sur le peuple, le protecteur de la partie supérieure de la réserve protégée de droite combla maladivement le vide, visant le seul électorat populaire pouvant encore croire en lui : les alzheimérisés a la mémoire qui flanche. On ne retiendra de ce marathon de la sincérité forcée qu'un appel du pied appuyé à la société du sous-salariat[1] et quelques allusions, malheureusement classiques, à l'Islam comme nuisance.

Vint alors à ceux n'ayant pas encore abandonné le navire, l'envie de balancer leurs sandales sur le plasma HD.

MADAME
- Mais Loulou t'es fou ! On n'a pas fini de le payer ! 

Hier soir, les Monarques ont parlé, mais nous n'avons plus rien à nous dire.  La dépendance au pouvoir est un vrai problème de société. 


[1] Le chômage n’intéresse pas les entreprises. Ce qu'elles veulent : du travail gratuit.

[update : 12.02.2011 : décryptage de la rhétorique, Rue89.]

10 février 2011

Paf le piéton !

par

La statistique des morts sur la route en janvier me remémore soudain ce billet non publié[1] datant du 29 septembre 2010. Il y était question d'un débat affectant "les libertés fondamentales du citoyen". Le débat occupait alors, entre des publicités pour auto et d'autres pour des assurances pour auto, des heures de "libre antenne" à la radio, avec langueurs de députés UMP et appels d'auditeurs excédés par des points de permis perdus "pour rien".

Le voici.
* * *

"Tandis que sur France Inter, le national chimiste des "bons français" tartinait le miel d'une énième pédagogie de la déchéance de nationalité pour les roms à l'origine de la désindustrialisation du pays, de l'augmentation des inégalités, du budget 2011 de rigueur, sur une autre antenne, un de ses collègues, Alain Gest, député UMP de la Somme, défendait l'autre débat du jour à l'assemblée[2], combat loin des nobles idéaux (quoi que) qui, tel le récent prêt à taux zéro véreux, parlera à infiniment plus de français :

"Faut-il ou non assouplir le fonctionnement du permis à points ?"

Question cruciale sur laquelle J.F Copé et X.Bertrand se sont envoyés des tartes à la récré.

D'un côté, pour le gouvernement qui est soucieux de brider, de collecter et de passer pour un bon samaritain, le permis à points et ses amendes associées sont une bonne opération financière, et sont efficaces : le nombre de morts sur les routes a sensiblement chuté ces dernières années.

Sauf que :

«Lâcher un peu de lest ne compromettra aucunement la politique du gouvernement. Ce serait faire preuve de simple bon sens [...] Aujourd'hui, des automobilistes scandalisés me renvoient par courrier leurs cartes de l'UMP !» déclare le député.

Son projet fait écho aux reportages sur le sujet se bousculant sur la TNT depuis des semaines appuyant sur une gestion centralisée du permis à point "complexe pour l'état" et même "contre-productive" (ce qui est faux). Pire, le permis à point "génèrerait de la délinquance", le nombre de sans-papiers de la conduite circulant impunément à l'intérieur de nos frontières ne cessant de croître. Une bonne raison pour supprimer ce système, n'est-ce pas ? Après tout, terminons-en aussi avec les infractions au Code de la route en supprimant tout simplement le permis de conduire !

En fait, un vrai libéral soucieux d'assurer l'ordre tout en réduisant le déficit budgétaire dirait :

"- Y a qu'à privatiser tout ça et foutre plus de radars !"

Certes, cette tendance là voudrait que nous nous dirigions vers un assouplissement de la délivrance du permis de conduire, avec des packages de type "speed-permis" pour les plus fortunés, suivi d'un durcissement des contrôles et d'une tolérance zéro pour le délinquant de la route, le tout couplé à un contrôle technique du conducteur tous les deux ans (là-dessus je suis formel : 100% des voitures accidentées sont aux mains d'humains), bref, que nous allions vers un système similaire aux offres de forfaits téléphoniques, où ce ne seront plus le permis ni la voiture qui seraient coûteux et compliqués à obtenir mais la conservation du papier rose et l'usage quotidien du véhicule[3].

Sauf que :

La voiture c'est sacré et le quotidien de Serge Dassault le rappelle régulièrement (sondage à la clé, alors tu peux le croire) : "les Français ne veulent plus du permis à point". Vrai ou pas, chacun aura au moins une anecdote personnelle pour s'accrocher à cette "vérité" et se satisfaire d'un relâchement de la pression dans le domaine, et ce au moment même où Le Monarque balance du discours sécuritaire et de la crainte d'une menace terroriste à chaque coin de rue.

Le gouvernement voudrait vraiment renforcer la sécurité routière, tout en garantissant l'égalité du citoyen devant la loi : il conserverait le système à points et supprimerait l'amende, et au passage il affecterait plus souvent la police a des missions de prévention... routière par exemple. La "clémence" pour les petits excès de vitesse, si elle était actée serait un signe envoyé à la pluralité des conducteurs se pensant tout permis.

...au nom de l'idéologie dominante :

"- C'est dégelasse d'emmerder les honnêtes gens comme moi. Moi mon véhicule c'est mon outil de travail, et mon temps c'est de l'argent et puis ce môme il n'avait qu'à pas se jeter sous mes roues."

...au nom des impératifs du monde moderne :

"... mais je suis pas criminelle m'sieur le policier, j'allais au centre-co'. J'étais pressée c'est tout. j'ai pas vu le vélo."

et autres :

"... vous savez moi quand j'envoie un SMS je ne regarde pas la vitesse !"

...ou encore, à ceux aux grosses cylindrées pour qui l'argent pèse peu :

" - 122 euros? Mais d'accord monsieur l'agent. Vous prenez la Gold ?"

* * *

Après les aller-retours, la loi sur l’assouplissement du permis à point a finalement été votée le mardi 8 février 2011 (parallèlement à l'augmentation du tarif des amendes de stationnement) dans le cadre du  paquet Loppsi 2... sur la sécurité intérieure !

La population enfiévrée n'a pas attendu le gros discount du permis à point, pour profiter du rabais ! Et le lendemain du vote nous apprenions ceci... 

On se plaint toujours du manque d’efficacité des aménagements législatifs. Celui-ci montre ses effets avant même le vote. Bien sûr, l'on trouvera toujours un porte-flingue droitard pour prétendre que c'est la faute à la météo voire aux 35 heures (excursion ministérielle en jet aux frais d'un dictateur, faits-divers... c'est la ligne de défense de droite sur tous les sujets à l'assemblée), mais voilà un bel exemple de l’efficacité d'une discussion "sans tabou" à longueur d'ondes durant des mois, débridant moteurs et consciences.

La proximité des élections cantonales et sénatoriales n'ont évidemment rien à voir avec ce laxisme soudain de la droite dans un des rares chantiers où elle avait réussi quelque chose. Allez, c'est la criseTM quoi ! Au nom de l'individualisme roi et de la fluidité des ventes d'automobiles fragilisées par la fin de la prime à la casse, le pays peut bien s'autoriser quelques dizaines de morts supplémentaires et de familles brisées. 

[1] "- Tu veux dire, que tu ne publies pas sur ce blog tout ce que tu écris !" "- Oui d'ailleurs mes livres sont dispos ici."
[2] via la commission des lois.
[3] Ah, on me dit que pour la voiture, c'est déjà un peu le cas.


Articles connexes : 

Illustrations : France2, Deathproof soundtrack, Q.Tarantino 2008

8 février 2011

La belle du "vrai visage de la guerre"

par
En 2011, le média télévision perd de sa superbe et de ses parts de marché, odieusement attaqué sur le front de l'info par des fuites wikileaks, des warlogs et autres séquences-choc de youtube filmées par des amateurs au coeur des révolutions. Sa messe du soir devait réagir avec ce qu'elle sait faire de mieux.
- De l'information ?
- Nan, de l'image. 
Ce 7 février 2011, pour les presque 10 ans de la chute des tours du World trade center, Laurence Ferrari promet à ses fidèles[1] de leur montrer "le vrai visage de la guerre" en Afghanistan
LAURENCE FERRARI
"- Attention certaines images peuvent choquer les plus sensibles d'entre NOUS" (sic).
(N.B : la version internet est précédée d'un spot pour un jeu sur console PSP et de la bande-annonce du film Largo Winch 2 avec Sharon Stone.)

Acte 1 : sur le terrain.
Reportage au coeur du conflit afghan. Malgré les 4000 soldats français qui y sont impliqués (pour rien), les deux journalistes vont s'"embedded" avec des soldats américains. Ils ont le sens du spectacle ces gens-là.
La vie sous les tentes US dans l'erg afghan. Voix-off monocorde (ça sent la drame). Le journaliste nous invite à suivre le quotidien d'une unité de GI faisant face à "la sale guerre" que lui oppose "l'ennemi taliban" a.k.a "les insurgés" sur la base de "deux techniques réprouvées par les lois de la guerre", attentats suicide et mines antipersonnel.
-  Salut moi c'est Michel, journaliste.
- Salut moi c'est Allen, sergent, 32 ans, père de deux enfants qui vivent à 10.000 kms de là.    
L'opé' du jour : patrouille d'observation d'un village. Pas de bol : les insurgés ont généralement le soutien des populations locales. Ce qui, au bout de dix ans de présence sur leur sol est pour notre coalition, au minimum et attendant pire, un échec total. Mais pas le temps de faire la psycho de comptoir, y a une bataille à gagner...
Le sens de l'image j'vous dis, ils embarquent même des caméras sur eux comme dans Call of Duty.
Truc à savoir : L'armée américaine est à cheval sur la com'. Si la notion d'"embedded" prête à confusion (on flirte avec le film publicitaire), ne pas être "embedded" expose le journaliste à prendre une balle dans la tête de la part des alliés. Deux confrères français sont retenus en otage depuis 400 jours dans la région, ce qui doit faciliter l'option "embedded".
Suivent deux minutes de progression en tranchées et d'observation depuis un talus. Bon. Il ne se passe rien. Et pourquoi donc La première compagnie fait-elle des sujets de plus de 6 minutes maintenant ? Et sans Le Monarque en plus ?
Krapaboum ! Le sergent Allen saute sur une mine, pile dans l'axe de la caméra. Hurlements. Panique et confusion. Zoom avant. Zoom arrière. A terre, le soldat hurle dans un nuage de poussière. On entend des "freakin'" et des "fuck". Place à la VO sous-tirée en plan séquence. Le reportage prend une autre dimension et trouve enfin sa justification : l'image brute d'un militaire aux membres arrachés (on ne distingue rien) dont le commentaire souligne qu'au milieu de l'attroupement, il continue à donner des ordres à son unité.
 
- Merde Michel, t'as tout raté ! Heureusement, c'est dans la boîte. 
- C'était qui ?
- Allen, le mec de 32 ans père de deux enfants à 10.000 kilomètres de là.
- Quelle connerie la guerre... 
- Tu l'as dit man, mais on a encore le temps de s'improviser une petite mise en situation avec ma tronche pour un épilogue à la Ushuaia.
- Tu te rends compte, on est passé à ça de la mort...
- Ouais, c'était extrême dude !
- Tu crois que la prochaine fois, ils nous laisseront filmer des victimes afghanes ?
Conclusion crépusculaire sur du Jean-Jacques Goldman  :
 " - Depuis le début de l'année, 30 soldats de la coalition ont été tués. 25 l'ont été par IED."[2]

Acte 2 : en plateau, la cellule psychologique.
Apologie de l'engagement militaire ? Soutien de l'action de la coalition ? Prélude à l'intervention télévisée du Monarque qui dans trois jours reviendra sur le sujet ? Le débrief des journalistes nous éclaire...
 LAURENCE FERRARI 
"- Comment expliquez-vous que vous ayez réussi à tourner, à continuer de faire votre métier..."
Et les journalistes de détailler le making-of... Il ne s'agissait ni d'un soutien, ni d'une condamnation du conflit mais bien, par cameraman kamikaze interposé, d'une opé' marketing sur le renouveau de l'information sur Tf1, la seule chaîne qui vous livre le "vrai visage de la guerre" (qui serait probablement resté dans les cartons s'il n'y avait pas eu un boum au bout). Si, au bout de dix minutes, j'ai bien compris que le chasseur d'image est un type courageux, force est de constater que je n'en sais pas beaucoup plus sur le pourquoi de notre présence en Afghanistan...

Laurence s'enquiert de l'état du sergent aux jambes emportées dans le flux des images. Là, suivant que tu regardes la séquence à la télé ou sur internet, tu auras deux bilans de santé : 

- La version soft diffusée au JT où M.Scott répond qu'Allen a pu "garder son bras droit" et a été "amputé très haut" à 24.30 sur ce lien.
- La version clinique (version longue de l'interview sur le site TF1news) où M.Scott répond qu'Allen "a été amputé des deux jambes très haut" à 7.00 sur ce lien.

Ce n'est pas un montage, la réponse a bien été tournée deux fois. Comme quoi, la télé-réalité ne l'est pas toujours tout à fait. 

* * *

[1] Ils étaient pas loin de 10.000.000 (soit l'équivalent de la population tunisienne) à regarder la bouse de Sophie Marceau, coupée à deux reprises par la publicité, dimanche soir sur la même chaîne.

[2] IED = mines. Il y a eu "environ" 1000 soldats américains et 7000 civils afghans tués.

Illustrations : TF1.fr , wat tv

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