14 mars 2010

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Blogoubouquin

Qu’est-ce que bloguer ? A quoi ça sert ? Est-ce que cela rapporte ? Trois questions auxquelles je réponds d'instinct avec un optimisme ravi : Rien.

Thierry Crouzet conçoit le blog comme une nouvelle forme littéraire, Narvic s'interroge sur les façons d'en sortir un semblant de rentabilité. Dedalus insiste sur la gratuité consubstantielle au net. Certains jettent l'éponge ou menacent de tout lâcher. Face aux blogueurs qui se questionnent, il y a ceux qui, assis sur leurs statuts d'écrivains publiés ou d'éditeurs, affirment avec des arguments poussiéreux qu'internet et écriture sont incompatibles pour cause de manque de rentabilité. Pire, il paraîtrait que la littérature elle-même est mise en danger par ces écrivains non payés qui, pouah, "bloguent" et "auto-publient" leurs livres sans rien demander à personne. 

Au sujet de l'auto-édition papier, l'éditeur-journaliste (se qualifiant de lobbyiste de l'édition numérique), Jean-François Gayrard déclare : "L’auto-édition est à la littérature ce que Kodak a été à la photographie: à trop vouloir démocratiser un art, à trop vouloir le populariser, à trop vouloir le rendre accessible au plus grand nombre, on finit par le désacraliser, on finit par lui enlever toute son essence, toute sa raison d’être." La généralisation de l'auto-publication qu'il qualifie de "miroir aux alouettes" serait une arnaque calquée sur le modèle de la télé-réalité. 

Par définition, chaque blogueur s'auto-édite jour après jour sans que cela lui coûte (pour le moment) ni que cela lui rapporte (ce qui lui fait déjà au moins un point commun avec l'écrasante majorité des auteurs "officiellement" publiés). L'édition d'un ouvrage payant, plus intemporel et au format "librairie", est un des prolongements logiques de blog, une satisfaction personnelle et une façon de monétiser un minimum son travail d'écriture (je le rappelle : une des activités la moins rentable au monde). Il existe plusieurs formules d'auto-édition : De vrais foutages de gueule (comme partout et comme toujours) mais aussi des formules peu onéreuses, écologiques (les livres sont fabriqués à la commande), voire plus rentables qu'un contrat d'éditeur classique si vous êtes un auteur débutant et que votre livre obtient son petit succès. Au mieux ça marche, au pire tu ne gênes personne. Mieux encore dans le cassage des nouvelles formes littéraires : Patrick Eudeline (le Christophe Barbier du rock), éructe sur Fluctuat.net entre autres stupidités sectaires et contradictoires relatives au réseau, un "ils [les blogueurs] feront de la littérature quand leur livre sera vendu chez les marchands..." ou "cite-moi un auteur auto-édité célèbre..." Basses attaques du reac. 

Dépassons ses critères de qualité littéraire basés sur le code barres et la liste des meilleures ventes de L'Express pour les retourner façon bourgeoise de l'avenue Henri-Martin... (à l'instar du cinéma, il n y a plus qu'elles pour s'offrir à plein tarif ce genre de culture de luxe.) Dans les rayons de la Fnuc, on trouve souvent la quinqua plâtrée, tourmentée face à la tête de gondole à l'estampille "On en parle à la télé donc ça fait bien dans les diners" . Elle ne sait que choisir : le dernier Marc Levy, le nouvel Anna Gavalda ou les mémoires posthumes de Jacques Marseille "Ma méthode définitive pour résoudre le problème des retraites" . Quel tracas de lire ! Elle soupire l'âme en peine :

"Pfff...En France, on publie bien trop de livres !"

A l'époque des 100 millions d'exemplaires (1 sur 5 officiellement publiés) invendus et achevant dicrètement à la benne une carrière qu'ils n'ont pas commencée, dans ce pays de l'écrit où un livre neuf coute parfois plus cher qu'un mois d'internet, où l'avenir de l'édition papier se joue plus sur la vente du dernier recueil de coloriages de Mickaël Vendetta que sur la réédition de l'intégrale annotée de George Palante, face aux deux millions de blogs créés, les expressions "auto-édition, "amateurs", "statut d'écrivain" et "modèle économique viable" ont-elles encore un sens ? 

Écrire, avec respirer et se plaindre de la politique, sont de ces rares actions humaines encore gratuites et non taxées. Tant qu'il y aura quelques idées dans la tête des écrivains, du courage et de la passion pour en accoucher, la question du support et du statut leur importera peu. L'auteur écrit, il s'édite. Les intermédiaires d'hier disparaissent, d'autres les remplacent. L'indispensable travail éditorial n'est pas l'apanage des éditeurs installés : des lecteurs expérimentés peuvent faire l'affaire. Internet n'est pas la fin du livre encore moins celle de la littérature, c’est une évolution de son mode de distribution (ce qui est au fond le vrai problème de l'auteur officiellement publié, à égalité avec la promotion.).

Tant qu'il y aura des lecteurs, où est le drame pour les auteurs ? 

Quoi qu'ils écrivent, auto-édités ou publiés dans les règles de l'art normé à la Eudeline, ils ont statistiquement de grandes chances de ne pas vivre de leur plume. Reste une affirmation littéraire eudelinienne (calquée sur l'argumentaire de certains journalistes installés au sujet de la crédibilité de l'information sur le réseau) : la création de qualité ne serait pas sur le net! Ni plus ni moins que dans les autres formats d'expression. En revanche, le lectorat s'y trouve. Alors que l'on réduit les effectifs et les matières enseignées dans l'éducation, qu'on trépane sur une base industrielle les jeunes générations à base de Naintendo et de trash-tv entrecoupée de spots à la gloire de l'individualisme mercantile, je ne m'inquiète aucunement de ce revival de la forme écrite et librement partagée, même "sans label" et non estampillée officielle par les caciques parce que numérique. Couinent les comptables et les rebelles embourgeoisés qui contemplent avec du mépris comme seul projet leurs baronnies s'effriter. 


Asymptomatique, le livre de Seb Musset disponible en  

version papier (324 p.) ou numérique (epub) 




 

6 comments:

Anonyme a dit…

Entièrement d'accord...
Pour la vidéo :
"Qui est tu pour dire à quelqu'un qu'il n'existe pas ?" // Parfait.

Unknown a dit…

Pour la première fois j'ai voté Mélenchon.
Au fur et à mesure je suis passé du centre à la gauche rouge.
L'histoire est un éternel recommencement!

Anonyme a dit…

J'ai bien aimé eudeline reprochant à Birenbaum les propos d'eudeline... En même temps c'est assez logique quand on n'a aucun argument à avancer sinon celui, inavoué, de chercher la confrontation en visant à recueillir l'assentiment de ceux qui sont trop las pour comprendre qu'on a rien à dire.
Quant à la littérature... Ma foi, ça existe ? Ben oui, c'est quoi l'art, quel qu'il soit, sinon une pure merveille pour celui à qui ça plaît ? Perso j'aime pas Picasso ni Victor Hugo : c'est de l'art ? Et j'aime me relire tout seul : c'est de l'art ? Ben oui, les deux en sont. D'ailleurs j'ai un poème :

"Prout prout est en camion
et va cueillir des champignons.
Alors il perd son pantalon
et puis se cache dans un buisson.
Qui va là ? crie le pinson
C'est Prout-prout ! dit le garçon
Et le pinson très polisson
Prend une photo pour Ardisson."

Osez me dire que ce n'est pas de l'art...

Xavier Bignet, internaute, pouët-pouët.

Anonyme a dit…

Énormissime ce Eudeline. Je le connaissais pas mais il incarne vraiment le bobo. Has been, consumériste, égocentrique, narcissique...

Quelqu'un se sent le courage de faire un best of des répliques d'Eudeline parce que là c'est du réactionnaire de niveau stratosphérique!
"S'ils vendent c'est qu'ils existent!" On dirait du troll UMPiste de base.

Le coup du "on n'est plus au XIXème siècle (sous-entendu un artiste pauvre n'est pas un artiste)". Moi je lui répondrai bien qu'on n'est plus au XXème siècle non plus...

Dans ses débuts il devait être aussi Punk que Patrick Balkany est honnête.

tingting a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Le_M_Poireau a dit…

Plutôt que poser la question de l'édition et de la distribution (la grande arnaque), il y a effectivement à avancer la question des lecteurs !
:-))

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