30 janvier 2009

"Rêve générale" à Paris

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Ils étaient 300.000 selon les organisateurs, 65.000 selon la police, 4 selon Yvan Rioufol du Figaro, quelque part entre 0 et moins que 0 selon notre président.


De cette "rêve générale" parisienne, je retiens la marée humaine des mécontents filant sans discontinuer entre les deux opéras des heures durant. J'ai vu des salariés du privé mêlés à ceux du public, des familles, des retraités, des jeunes, des enseignants, des vieux, des sans-papiers, des conseillères clientèles de banque, leurs victimes, des internes en psychiatrie, des électeurs de droite repentis, des utopistes, des socialistes égarés redécouvrant les vertus d'une bonne gauche, le théâtre du soleil et les gars de Bricorama, des caissières exploitées, des étudiants qui refusent de le devenir et tant d'autres, pas forcément des habitués de la contestation, dont la cible commune de l'énervement était l'autisme social d'un certain président.

Le soir, le vingt heures de la première compagnie diffusait, via sa blonde à titrer, un autre évangile, sécuritaire et terrorisé. Il y était question de "casseurs en fin de cortège" et de "journée de chaos évitée grâce au service minimum".

Des racines du mal et du succès de la mobilisation au niveau national : Rien ou si peu, bref le minimum syndical.

28 janvier 2009

26 janvier 2009

Retrait définitif à la Bred (v2)

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:::::::::::::: Retrait définitif à la Bred (v2) ::::::::::::::


Djamila, 32 ans, sous-officier du secteur bancaire en première ligne derrière ton guichet, tu es tombée mercredi 21 janvier 2009 au champ de bataille pour avoir défendu le code de l'honneur de ton produit financier.
Tu n’es pas la première victime de la crise. Il y en a eu d’autres avant toi plus haut placées dans l'état-major, des notables alliés mais aussi des civils anonymes, des ouvriers à rêves trop grands pour leurs budgets, retranchés écœurés dans leurs ultimes mensualités se suicidant dans l’intimité de leurs pavillons hypothéqués juste avant l’arrivée des huissiers, des patrons en cessation de paiement, profitant de la pause déjeuner de leurs ouvriers pour en finir dans l'honneur avec la réalité.
Ta spécificité : Tu étais au cœur de la relation client.

Les médias ont parlé de toi. Un peu. Tu le dois à deux évènements :

1 / En plein Paris, à la pause cigarette devant la succursale où tu officiais comme conseillère clientèle, Jean- Claude, un client de 24 ans, t’a poignardé dans le dos.

2 / Ce meurtre de sang-froid remplit le trou d'air info entre la fin provisoire du feuilleton idyllique d’Obama et celui fédérateur, largement bande-annoncé, de la
tempête dévastatrice s'abattant sur la nation en péril.

A moins que l’on découvre demain que tu étais la nièce de Jérôme Kerviel ou que 3 nouvelles conseillères bancaires se fassent poignarder la semaine prochaine, l’enquête, sous son aspect médiatique, s’arrêtera au plan fixe de la façade terne de l'agence de la Rue d'Avron. Au hit-parade du sordide, le surlendemain, un massacre dans une crèche bruxelloise terminera d'expédier ton drame aux oubliettes.

De ton emploi à la banque, à la télé il fut à peine question. Vendeuse de poissons ou gogo-dancer, le traitement aurait été similaire. Dans ces métiers là, j'imagine que ton employeur aurait probablement pleuré ta disparition au Journal de 20h, rendant hommage à ton professionnalisme. Excusons cette lacune de ton management et des hautes sphères de ta direction. Mercredi, les places financières internationales et les valeurs bancaires chutaient dangereusement. Et puis, pour les hautes sphères, jeudi c’est comme mercredi : C’est déjà le week-end à Miami.

Djamila, ta direction ne se résumait pas à ce petit chef de secteur à costard Celio qui te challengeait chaque semaine des objectifs de placement de produits. Ton supérieur direct était un intermédiaire exécutant les ordres, comme toi. Avantage lié à son grade : La relation client il la voyait de loin, planqué dans son bureau de faux-derche à ficus en plastique. C'était à toi qu'incombait la tache ingrate de siphonner le pognon là où on en trouve toujours : Dans la poche des moins fortunés.

Ces bonus récompensant les objectifs que tu explosais te motivaient à pulvériser ces records qui, la semaine d'après, devenaient la base minimum à ne pas enfoncer.

Tu étais l’avant dernier maillon, juste avant le pigeon, de la grande levée de fonds.

Par temps économiquement agités, les hautes sphères te concoctaient de nouveaux produits à placer en urgence, des contrats opaques, assurances et prêts, se délitant en une syntaxe hermétique avec police illisible au travers de 40 paragraphes dont les 20 derniers contredisent les 20 premiers. Ces produits bénéficiaient en amont de campagnes de promotion dignes des plus grands films hollywoodiens et tu ne poussais pas plus loin l'argumentation quand le prospect te faisant face s'en tenait à l'accroche publicitaire entendue à la radio : Tout ira bien.
Après seulement, quand tout allait mal, quand tu faisais ton possible pour débloquer ses fonds en attendant l’aval de Celio, qui calfeutré derrière son ficus te disait toujours non, quand ce tu qualifiais de "produit garanti" se transformait pour ton client en un "je ne peux rien faire de plus, c'est marqué noir sur blanc, c'est pas de ma faute si ça a perdu 15%", tes formules magiques gagnant-gagnant se révélaient alors pour l'humilié comme autant de couteaux plantés dans son dos.
Dans ces cas extrêmes, grâce à un mix de zen et de fermeté rodé en formation au siège dans la belle tour en verre teinté qui domine les faubourgs de la ville, tu récupérais la situation, trouvant les arguments pour mater les manants et stopper net leur complainte crasse du : "Je veux que l’on me rende mon argent maintenant !"
Miroirs aux alouettes à taux variables pour benêts à fort potentiel de crédulité, bombes à retardement pour galériens déjà endettés, ta funeste expérience prouve que tu aurais du définir un peu plus ces produits aux malheureux à qui tu les a vendu.
Passons sur les raisons des réclamations de Jean-Claude et de ses prédécesseurs ronchons qui, de plus en plus nerveux, se succédaient à ton guichet. La sensibilité n'est pas rémunérée et les bons amis ne font pas de bons comptes. Parfois, en cas de difficulté à atteindre les objectifs, sur incitation de Celio, tu pouvais te montrer conciliante, décochant un euphorique : " Je peux vous proposer un prêt pour rembourser le découvert que vous nous devez ."
Ah, si tu avais été un homme, Celio t’aurait qualifié de killer. Ton taux de transformation mettait du beurre dans les épinards, Celio se faisait mousser auprès de son Hugo Boss de secteur qui remontait par fax la bonne nouvelle aux intermédiaires en Paul Smith, eux-mêmes dans les petits papiers des hautes sphères habituées au sur-mesure. Ton président directeur général pouvait alors s’auto-congratuler face aux actionnaires au sujet des résultats annuels de sa banque moins impactée que prévu par la crise.
Djamila, les impacts ce sont les gens comme toi qui les subissent.

Les risques du métier, les hautes sphères les avaient pourtant anticipés. Conscientes qu’un client blousé garde plus facilement son sang-froid devant une conseillère clientèle radieuse et bien gaulée, les hautes sphères se targuaient d'engager des légions de jeunes femmes comme toi : Déterminées à grimper au-dessus des affectations classiques auxquelles trop souvent un nom comme le tien les cantonnent. Les hautes sphères appelaient ça une politique d'intégration des minorités visibles. Afin que tu ne développes pas de sentiments avec tes clients (amour, haine ou amitié), elles te transféraient régulièrement d’une agence à l’autre, sous label promotion interne.

Peu avant ton assassinat, tu te demandais pourquoi se multipliaient encore les ouvertures de succursales à l’heure d’internet et des transactions dématérialisées. Tu pensais : La banque en ligne c'est bien mais il ne faut jamais couper la relation client. Sans relation client, humaine et souriante, ta clientèle serait moins facile à duper.

Djamila, tu te sentais fière de ton rang et du train de vie qui allait avec : Les tailleurs gris et la possibilité d’un crédit (car ton univers est cynique à ce point que, toi aussi, tu en étais la cible). Ton domaine d'activités décrété nécessité publique par ton gouvernement, tu restais sereine : Rien ne coulerait ton métier, pas même la fin du capitalisme.
Tu ambitionnais de monter plus haut, à la place de Celio peut-être. Tu le savais bien que dans ta branche, moins l'on a à faire au client plus on touche de l'argent.



Djamila tu es triplement perdante : Coupable, victime et morte.

Ta disparition laisse ouvertes des questions :

Pour expliquer le geste de Jean-Claude, l’enquête judiciaire remontera-t-elle dans les méandres des clauses suspensives de remboursement de son assurance vie ?

Avant de statuer sur la préméditation, de juger s'il y a folie ou non, les experts s'attarderont-ils aux alinéas fallacieux et aberrants perdus dans le contrat de Jean-Claude, qui faisaient de sa vie un enfer et du remboursement de son modeste pécule un cauchemar qui prendrait plus de temps qu'il n'en faut à ta banque pour récupérer d'épais subsides de l'état ?

S’interrogeront-ils seulement sur les raisons et les conseillers clients qui, à 24 ans, incitèrent Jean-Claude à souscrire une assurance vie?

Djamila, tu as appris dans la douleur que l’homme est ainsi fait que lorsqu'il est au bout du rouleau, qu’il lui faut payer le loyer et qu'il s'aperçoit qu'une belle blonde, une petit brune ou une Djamila l’a couillonné en lui proposant des produits financiers qu'elle lui a juré sécurisés et récupérables mais qu'il découvre dévalorisés et bloqués, selon le vocabulaire consacré entre deux spots pour ton enseigne dans les docu-dramas de la chaîne de télévision que toi et ton assassin regardiez, "il pète un plomb".

Djamila, en ta mémoire, notre président décrétera t-il une loi dans l’esprit du traitement réservé à ton meurtrier, envoyé à l’asile sans passer par la case prison ? Loi sécuritaire : Obligation de mettre les conseillères bancaires sous cloches blindées. Loi répressive : Mettre préventivement tous les pauvres à l’asile. Probablement pas. A l'inverse des hôpitaux, des synagogues et des caténaires, certains domaines restent imperméables à la dictature des faits-divers.

Attendons ce jour apocalyptique où, à l'image de Jean-Claude, tous les clients se dirigeront d’un seul homme aux guichets de leurs banques pour réclamer sur le champ la totalité de leurs économies et de leurs placements. Ce jour-là, au nom de la sauvegarde d'un secteur en difficulté, l’armée protégera enfin ton agence et ses soldats privés dont celui, muté dès lundi matin, qui te remplacera au guichet.

Pour toi Djamila, c'est trop tard. Mais, compte tenu du désarroi que tes collègues continueront de générer avec leur redite insultante de ces rapines pour petites-gens qui alimentent les grands fleuves de thune des puissants, je crains que tu ne sois pas la dernière à tomber.
Emmène avec toi au paradis de ceux qui, jusqu'au bout, assurèrent-vie leur fonction à la perfection, cette ode à la liberté rachetée un prix d'or par ta direction à un chanteur aveugle.

Illustration : affiche de Un après-midi de chien de Sidney Lumet (1975)


Seb Musset est l'auteur d'Avatar et Perverse Road disponibles ici

23 janvier 2009

point presse pas pessimiste

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Deux où trois choses qu'il fallait préciser...

Pour les lecteurs du Vendredi* de cette semaine, l'intégralité de l'article "M6, pour un peuple presque parfait" avec sa vidéo complémentaire, ainsi que d'autres chroniques sur les ravages de la petite chaîne qui enchaine, se trouvent sur cette page thématique.

Pour ceux qui, au fil de mes billets, s’interrogent sur le Comment peut-on devenir (ou rester) mon ami sans risquer de finir explosé dans les pages de ce blog ? je réponds ceci :

- Il ne faut pas toujours croire internet, on y lit parfois des conneries.
- Il ne faut pas toujours croire ses amis, ils font le succès d’internet.
- Il ne faut pas croire que je suis méchant, j'ai juste l'œil mauvais. La nuance est fine mais les connaisseurs apprécient, surtout aux périodes sombres lorsque la gentillesse ne court pas les rues.

- Il ne faut pas croire tout ce que je raconte.

- Il ne faut pas croire que je raconte tout. Ah si vous saviez… J’ai vu de grands navires en feu surgissant de l'épaule d'Orion. J'ai vu des rayons fabuleux briller dans l'ombre de la porte de Tannhäuser** et j’ai même tapé la discute avec Lesly du Loft 2.

- Que mon intolérance est inversement proportionnelle à mon alcoolémie.

- Que l’on critique d’abord chez l’autre, ce que l’on aime pas chez soi.

- Et puis merde : Que la vie sans risque, c’est l’ennui.


Pour ceux qui me demandent davantage de vidéos : Dés que je récupère un peu de temps et une connexion internet digne de ce nom (NB : Le triple play quand ça marche pas, c'est la triple purge), il y aura de quoi faire, et dans de nouveaux supports.

Pour ceux qui veulent lire Perverse Road : Je les incite à ne pas se le procurer sur le site Amazon.fr*** (où il est vendu au prix du caviar) mais sur le site de l'éditeur, ou alors en me contactant directement.

Pour ceux qui me contactent déjà par courriel : Encore un grand merci pour vos encouragements, vos témoignages et vos contributions littéraires. Je ne sais pas où l'on va mais cela me rassure d'y aller avec vous.
Enfin, pour ceux qui commencent à en avoir ras la cafetière de la totale-politique du Roi fait néon, ce qui regroupera probablement les catégories susmentionnées : Je les encourage à prendre sur leurs temps de travail, de chômage, de glande, d'étude ou de retraite pour manifester leur mécontentement dans les rues de France le 29 janvier, histoire de recalibrer les pendules Patek Philippe du pouvoir à l'heure populaire du cafard.


* Le petit concours publié dans le profil est gagné. Une excursion dans un haut-lieu du fooding-worldterroir-neobobo (avec foie gras au pastis sur lit de crème chantilly) sera organisée pour le perspicace, à sa prochaine montée sur la capitale.

** copyright Philip K.DIck et Warner Bros.

*** "Perverse Road" sur Amazon ? Une histoire compliquée...

17 janvier 2009

C'est beau une banque la nuit

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Le bus 95 remonte le XVe arrondissement vers le centre de Paris, le long d'un axe dit populaire, sans une âme qui traîne après 20 heures. Pas de piétons, peu de lumières, quelques variations bleutées du journal télévisé s'échappent synchrones par les alcôves alignées aux étages des barres en béton.

Le bus traverse la place du 18 juin et change de régime pour glisser, Rue de Rennes, vers le centre à fric.

Ici comme dans le XVe, malgré leurs adresses précieuses, les rideaux de fer des bars et des petits commerces (vente à emporter, d'accessoires ou de téléphonie mobile) sont de plus en plus souvent baissés, même la journée, barrés de la mention bail à céder.

Vu du bus, le défilement du panorama urbain prend un sens que le piéton parisien concentré à esquiver les colonnes publicitaires, les kiosques à Closer,
les bancs où personne ne s'assoit jamais, les velib et les scooters mal garés ne peut appréhender. De cette hauteur, aux premières heures de la nuit, on perçoit mieux l'hécatombe : Succession des liquidations judiciaires. Dans ces humbles commerces là, il ne sera plus question de travailler le dimanche ou pas.

Le bus s'invite dans le quartier dit aisé. Le mètre carré y est à peine plus cher que Porte d'Orléans, c'est à dire bien trop cher pour ces gens qu'on appelle les gens. Aux pieds des façades blêmes des immeubles inhabités s'étalent, illuminées, les grandes boutiques de chaîne.
L'une chasse l'autre. Elles offrent aux yeux du fauché, leurs vastes alignements de jeans boot-cut ou de polos à kékés. A ce moment précis, la vie est ailleurs. A Vierzon ou dans la banlieue de Nancy ça pulse plus qu'ici.

Au cœur du cimetière urbain, depuis un an, ne sont inaugurés que des mini-banques avec des mini-supérettes pas loin pour nourrir à prix surtaxés les employés à mini-salaires. La grande distribution, je comprends : Elle s'adapte et elle en a sous le matelas. Mais, il me semblait entendu que pour les banques c'était tendu. 2008, une mauvaise année. En 2009, les banques sont sauvées, elles repartent d'un bon pied. La crise maintenant c'est pour leurs clients.

De ma plate-forme d'observation mobile, le banking-business m'a l'air plus florissant que jamais. Des banques, au pied de ce pâté d'immeubles comme au précédent, j'en compte bien plus que de boulangeries, de boucheries et de fleuristes réunis. Aux angles des boulevards, règnent toujours les grandes succursales d'antan
. Sur leurs vitrines sont placardées des annonces idylliques et colorées pour tel prêt à taux libérateur garanti.

Le bus pénètre maintenant dans ces ruelles étroites où le moindre arrêt de véhicule cause la paralysie complète du vieux Paris. Là aussi, je retrouve tous les 15 mètres une enseigne familière, que parfois au détour d'un scandale l'on a préféré rebaptiser, Banque Nationale du Pari ou Crédit Lions-les. De la taille d’une sandwicherie (et pour cause, elles occupent d'anciennes sandwicheries), ces établissements bonsaïs s'étirent le long d'un corridor de 3 mètres de large sur 10 de long. La journée on y trouve deux employés qui s'ennuient ferme, pas de coffre et jamais trop de clients puisque elles sont la réplique à l'échelle 1/4 d’autres locaux de mêmes enseignes, plus grands et aussi vides, à moins de 100 mètres de là.

C'est ici que je descends. De cet arrêt au suivant (mon lit à 150 mètres), je compte 8 banques, 7 SDF et 12 distributeurs de billets.

De quoi vais-je me plaindre ? Désormais pour gérer mon épargne estimée à 16 euros, j'ai à ma disposition 3 officines à moins de 2 minutes de marche.

Une question cependant :
Sont-ce nos frais de tenue de compte ou les milliards injectés qui permettent au secteur bancaire (
innocente victime des tristes évènements que l'on connaît) de se refaire une santé foncière en récupérant les emplacements en or des petits commerces qu'il a contribué à faire péricliter en leur coupant net des crédits, via le sourire désarmant d'une conseillère clientèle de 25 ans débitant son désolé mais non négociable :

- "
Vous comprenez Monsieur Fauche-man c'est la crise" ?

Probablement un savant mélange, fiscalement optimisé, des deux.

Seb Musset est l'auteur d'Avatar et Perverse Road disponibles ici


(Ci-dessous : Une version rurale.)

* Banque (n.m) : service forcé et payant, de collecte et d’exploitation de votre argent.

14 janvier 2009

Culpabiliser et angoisser (ou pas)

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Parce que Surveiller et Punir comme seul projet de société, ce n'est pas assez, aujourd'hui, on peut accéder individuellement, chez soi et pour soi, d'un coup de télécommande, à tout un univers de flagellation mentale.

Importée des pays anglo-saxons sur inspiration gouvernementale, une pratique audiovisuelle traite le mal (nous) à la source, en obstruant notre poste
principal d'observation du monde : La télévision. Le "culpabiliser et angoisser" nous alerte sur nos travers et anticipe nos déviances.

Il se propage sur nos écrans en deux modes majeurs :


- De biais, dans les journaux télévisés où il joue à armes égales en temps de parole avec les grands drames de ce monde. Tour à tour, les animateurs en information nous y annoncent
sans hiérarchie dans la gravité que c'est de notre faute (indécrottables drogués EDF que nous sommes) si la Bretagne risque des coupures de courant cet hiver, que la future obésité de nos enfants est intolérable, que notre usage d'internet est délictuel et que la perversité dont on fait preuve en continuant à acheter ces cigarettes que l'état vous vend, mérite un châtiment pictural.

- De face, dans des campagnes officielles dites de prévention : Ne mange pas, mange mieux, sois jeune mais n'aie pas peur d'être vieux, fais quand même gaffe à te payer toi-même ta retraite, mange des légumes, n'oublie pas la viande, termine ton assiette, ta capote et ton cancer, module ton diabète, fais gaffe au papillomavirus et check the prostate.

Notons que les deux catégories s'entrecroisent parfois lorsque la campagne de prévention est élevée au rang d'information. Un jour d'octobre dernier, pour le lancement du spot européen sur l'usage du filtrage parental d'internet (film honteusement discriminant pour les petits gros à lunettes), BFM Tv fit une campagne de la campagne en diffusant l'objet
racoleur à chacun de ses journaux, sous prétexte d'actualité.

Le "culpabiliser et angoisser" est une dialectique insidieuse d’inspiration religieuse. Se souciant à l'excès de notre bien, Il assigne le spectateur au tribunal de ses responsabilités, le mettant en permanence en examen. Le "culpabiliser et angoisser" est aussi vicieux que protéiforme. Dans telle réclame, il se déroulera dans une police pour gnomes au bas de l'écran, ailleurs il sera un logo rouge clignotant, un avertissement en début de programme ou une mise en garde en fin de publicité. Il peut se cacher au détour d'une alerte météo ou d'une émission pour enfants et s'affirme courageusement, avec constance, dans les extraits choisis du discours du président.

Invité des plateaux, le "culpabiliser et angoisser" revêt son manteau d'expertise et, avec un zeste de condescendance, modèle des consciences qui 2,5 fois sur 3 ne demandent que cela. Il est la nouvelle antienne de la communication par temps de crise. Toujours prêt à pourrir de ses admonestations le frais souvenir d'un épisode tout juste terminé de La petite maison dans la prairie, il trompe l’appétit de l'affamé, le détourne de ses tracas quotidiens au nom des grands périls qui l'attendent demain s'il n'agit pas correctement sur-le-champ.

Qu'il aborde des sujets génériques ou marginaux, il vise toujours l'intime.

D
es réels grands dangers, nuage radioactif ou nature de la croissance négative, il ne nous avertit jamais. Motif : Cela nous inquiéterait.

Son spectre est large. Il va de programmes courts sur l'éducation de nos enfants à de grands reportages sur la sauvegarde de notre planète (secteur où, du tri de vos déchets à l'achat d'ampoules économiques qui n'éclairent pas, les géants verts, vendeurs d'humanité pour le compte de nouveaux marchés, vous mettent au pas depuis leurs hélicoptères).

Il se décide souvent dans des ministères. Derrière la rutilance de son écrin, conscient du vide que celui-ci contient, grâce à son principal représentant de commerce (ta télé au milieu de ton salon mon pote), le pouvoir agite les polémiques et les spots pour produire du fautif.

A chaque jour sa rafale de coupables. Les cibles se succèdent. Mauvais parents, enfants indignes, femmes battues et femmes qui battent, ceux qui ne font pas de sport, ceux qui devraient moins en faire, végétariens et bouffeurs de barbaque : A
ce rythme, à un moment ou à un autre, chacun de nous est ou sera artificiellement inquiété d'être lui-même.

Le but? Un sujet angoissé est un sujet maté, spécialement s’il est travaillé par une thématique think-tankée pour lui par les publicistes du palais
.

Le "culpabiliser et angoisser" surfe sur le fantasme diffus d'une société qui serait parfaite si seulement elle n'était pas gâchée par l'irresponsabilité criminelle de ses citoyens. Vous savez, ces conscrits à suer et consommer justes bons à se prononcer dans les débats de société par textos interposés ou de vive voix, à l'antenne des radios périphériques mais après filtrage préliminaire d'un stagiaire en psychologie des foules.

Le "culpabiliser et angoisser" précède et accompagne les réformes ou annonces de réformes gouvernementales dans un feuilleton quotidien du Plus oppressante la vie. Aux périodes incertaines, il ratisse plus large que jamais, contaminant de nouveaux domaines.

Dans cet océan de doigts pointés, surgissent des secteurs qui, selon leurs aléas économiques et malgré des taux de mortalité conséquents, voient leur traitement médiatique sanctuarisé.

C'est aujourd'hui le cas de l'automobile.

Flash-back 2002 ; L
a sécurité routière est décrétée cause nationale par Jacques Chirac. Souvenons-nous du poignant mais pléonastique "ton visage c'est le tien" de Jean-Pierre Raffarin à l'index inquisiteur concluant une série de Zone interdite sur ces jeunes accidentés aux destins brisés.

Il y a quelques semaines encore, un spot sur l'usage du portable au volant squattait chaque fin de programme du câble à la TNT générant des cas de schizophrénie chez certains spectateurs assidus de la série 24 heures où le héros en passe facilement 12 à téléphoner au volant dans un remake urbain de la course du Mans.

C'était avant... avant que le secteur de l'automobile,
annonceur publicitaire majeur qui compte pour 1/4 de l'économie du pays, n'annonce une méchante baisse de ses ventes. Depuis le début de l'année, les articles et sujets relatifs aux accidents de la circulation se font plus discrets, les spots de la prévention routière, eux, disparaissent des écrans.

Boire ou conduire, constatant les tarifs pratiqués dans le secteur (du permis à l'assurance), le jeune fauché a tranché : Il boit. Le con, il se met à faire du vélo et refuse de s'endetter pour acheter une Twingo.

Terminée donc la communication anxiogène perturbant le futur consommateur d'autos. En parallèle, après la prime à la casse, après l'instauration d'un programme déguisé d'éviction des véhicules accidentés (comprendre plus assez neufs) et parce que l'état compte bien continuer à surveiller et verbaliser les conducteurs et que pour cela il lui faut des conducteurs, le Premier Ministre annonce la réforme du permis de conduire visant l’allégement de son coût et une simplification de l’épreuve qui deviendrait plus tolérante.

Question sécurité, les économistes sont unanimes : En période de récession, on peut s’autoriser de petites embardées meurtrières sur les routes de France.

Dans ce domaine privilégié, tant que les ventes de véhicules ne décollent pas, les plus jeunes d'entre nous peuvent provisoirement déculpabiliser et ne plus se sentir angoissés.

Pour que Renault avance, La France peut accélérer.

Seb Musset est l'auteur d'Avatar et Perverse Road disponibles ici.

7 janvier 2009

la valse des étiquettes

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Prix cassés et esprit festif sur fond de désespérance sociale, "Les empêcheurs d’encaisser en rond" mènent une action d'autoréduction rue du Faubourg Saint-Antoine à Paris, le soir du réveillon du 31 décembre. Ou, l'automatisation des caisses poussée à son extrême limite. Source Mediapart.fr

3 janvier 2009

M6 : Pour un peuple presque parfait

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Précisons d'abord qu'elle n'est pas spécifiquement française. En Angleterre par exemple, on l'appelle génération Channel 4.

En France, ses fidèles ont entre 14 et 35 ans et ce point commun de n'avoir aucun souvenir d'une France sans M6. La nature des programmes de cette chaîne, son introduction du concept d'évaluation puis d'élimination des individus par leurs semblables, son recours au coaching comportemental approfondi reculant sans cesse les limites de la vie privée ou sociale, ses prescriptions d'achat aux apparences anodines qui font de ces shows des publi-reportages, son humour socialement inoffensif, la ligne éditoriale de ses magazines d'enquête précédant ou accompagnant les réformes du gouvernement, son survol distancié de l'information, ont modelé une génération :

La génération M6.

Reprenant le flambeau de la France déclinante de la première compagnie qui, vivant sur ses gloires passées sans se renouveler, s’éteint peu à peu, cette petite génération qui monte et qui a fait de la chaîne alternative sa favorite est La France de demain.

Pour plus d’information sur les programmes de la chaîne incriminée je vous renvoie à cette vidéo et, parce que l’on jamais mieux servi que par eux-mêmes, au site
M6Replay.fr qui diffuse jusqu’au 7 janvier le show "ces émissions que nous n’oublierons jamais" (dont une sur deux provient de la grille d’M6).



Mais, revenons à nos moutons.
On repère la génération M6 lorsqu’elle sort de sa tanière cocoonisée à la saison des achats (fêtes et soldes et en règle générale dès le vendredi soir à 17h) pour arpenter les rayons illuminés à son intention, dans l'attente qu’on lui libère son dimanche chômé, intolérable atteinte à son pouvoir d’acheter.

La génération M6 va souvent par deux, en petits couples assortis (- parce qu’à deux ça fait moins d’impôts à payer). Malgré sa passion pour le bouddhisme, les bougies parfumées ou le karaoké, elle rationalise son rapport au monde selon des critères financiers. Avec elle, tout est pognon. La génération M6 a une calculette en lieu et place du cerveau.

Toujours partante pour courir là où on lui suggère de marcher, prête à supplier là où on l’invite à ramper, son champ d’analyse sociale part de ma droite (elle est ainsi, à l’image de ses grands aînés très réceptive aux discours publicitaires d’hommes providentiels promettant plus d’argent en échange de plus d’efforts) pour s’étendre jusqu’au plus à gauche possible pour elle (c’est à dire encore bien à ma droite) au travers du sentiment d’injustice qui la déchire à l’idée de ne pas avoir un écran plasma aussi bien que celui de Dany Boon vu dans le M6 Déco spécial intérieurs de stars.

Sa vie est une course d’un centre commercial à l’autre pour l’obtention, à prix soldé, des gadgets recommandés par sa chaîne privilégiée. Du nord au sud, on reconnaît les intérieurs de ses pavillons qui se reproduisent à l’unisson coloré des préceptes de ses mentors télévisés de la déco mégalo. Dans ses salons carrelés s’entassent, avec la frénésie d’agencement de ceux qui ont peur de ne plus posséder, des meubles offrant la triple qualité d’être massifs, moches et dépareillés. Elle est provinciale ou banlieusarde. V
ia un habile marketing des annonceurs, et la répétition annuelle des Capital spécial bonnes affaires de l'immobilier, elle s'est auto-bannie des centres villes afin de trouver plus grand et plus dans son budget, en vingt-cinquième périphérie.

C'est que, question maison, la génération M6 abhorre la location. Peu importe ses revenus, posséder un toit n’est pas une ambition : C’est une obligation. Comment faire autrement lorsque pendant les 10 dernières années on a entendu comme seuls sons de cloche les reportages orientés d’M6 d’un côté et de l’autre, l’écho continu des ego repus des parents proprios ? Quand elle possède un bien immobilier, quelconque et sur payé, c’est comme pour son canapé, vite elle s’en lasse. Il lui faut plus grand et plus classe.

En pleine crise existentielle pour cause d’existence de crise, la génération M6 consacre encore ses forces à se cogner sans peur du ridicule dans le mur de ses contradictions, tiraillée entre l’idéal télévisé de l’épanouissement personnel et la logique comptable de ceux qui lui vendent cette réussite balisée d’objets à se procurer et de concepts à adopter.

S’intéressant peu à la vie au-delà du consommable, elle s'interroge rarement sur les motivations et les conséquences de ses actes dont elle paye, au propre et au figuré, régulièrement les frais.

Son opulence à débit différé est pourtant souvent remise en cause à la fin du mois par des imprévus de type appel de fonds pour les charges de l'immeuble ou nouvelle option sur le forfait 3G-UMTS-Bluetouze (pour appeler maman qui habite à deux maisons de là) qui plantera de 500 euros son budget de représentation établi à 140% de ce qu’elle gagne en salaire.

Rentrant dans la vie active par la dette, à pas 30 ans elle n’a déjà plus aucune soupape de sécurité et prend toute déconvenue financière de plein fouet. D’où ce sentiment de colère qui monte en elle depuis les non-résultats sur le terrain de l’élection présidentielle de son miracle américain. Que ce soit pour sa maison ou ses revenus, elle se persuadait que le nouveau président lui garantirait du +15% à l’année. Enfin, c’est ce qu’elle avait compris du Zone Interdite spécial ces pays qui ont tout compris et qui ont su se réformer diffusé quelque part au cœur de la déprime de 2006, amuse-gueule aspartamé de celle qui l’attend en 2009.
Sur le terrain pavillonnaire, la génération M6 est une confrérie tacite dont l’adoubement repose sur des codes vestimentaires, ludiques et télévisuels très précis. Elle se conjugue intérieurement à la première personne du singulier. Le nous revendicatif sonne comme un blasphème à ses oreilles. La transcendance spirituelle ne l’intéresse pas plus. Ses seules communions sont de pixels. L'unique réel sur lequel elle veut avoir prise est celui de sa chaîne via des SMS surtaxés pour éli
miner ses semblables qui ont voulu tenter de briller à la télé (son rêve secret). Pour elle, la reconnaissance n’est pas la conséquence d’un travail, c’est le but de tout crétin chantant sous sa douche ou devant Rock Band, jeu vidéo qui, comme tous ceux simulant à la fois notoriété et maîtrise factice d’un apprentissage représentant des décennies de labeur, marche très fort dans ses rangs.
De par son âge, son état de salariée pressée jusqu’au trognon et ses montagnes de crédits, la génération M6 est déjà la grande perdante de 2009. Arriviste se pensant déjà arrivée (si l’on considère qu’un salon à 6000 euros payable en 15 fois sans frais est une étape essentielle dans la vie d'un homme) elle ignore qu’elle se trouve au début son long parcours sacrificiel. Au fond, cela la gêne peu et puis elle a son arme contre la déprime : Les petits plaisirs. Elle n’a pas besoin qu’on lui répète 10 fois la publicité : De son propre aveu, elle craque énormément. Et puis, la vie c’est comme la real-tivi : Pas de réussite sans humiliation. Pas d’émancipation sans asservissement. Oui, la génération M6 est un peu con.

Rentrée dans le monde de l'entreprise par la porte initiatique du stage sous-payé, bercée par les discours angéliques de ses parents, outr
ée par ses grands frères (c’est moi ça) qui peuvent perdre leurs journées à ne pas être productifs pour d’autres, la génération M6 gobe tout cru ce qu’on lui dit et se montre très travailleuse. Elle n’hésite pas à cumuler les boulots, son job au bureau et le soir la garde rémunérée des enfants des autres. Et ce, quitte à engager une baby-sitter pour garder les siens. Dans l’optique de l’accès à sa bourgeoisie fantasmée, le travail c’est sacré. C’est son nouveau président qui lui a dit. C’est pour cela qu’en 2007, pour la première fois elle s'est bougée jusqu'au bureau de vote, sans conviction propre, juste parce que c’était vu à la télé ou entendu dans les conversations de ses parents.

Dans les couples de la génération M6, elle et lui travaillent (- Bah tu comprends financièrement, c’est impossible autrement). Lui turbine parce qu’il veut la nouvelle Xbox, elle, parce que c’est le progrès et qu’elle veut que son mec ait sa nouvelle Xbox sinon ce serait pas un mec, pas un vrai, en tous les cas pas un comme celui de ses copines. Quand la génération M6 parle de son boulot, c’est souvent pour s’en plaindre sans pour autant le remettre en question. Le travail est une peine de prison tolérée pour surnager à la surface de sa condition. Déclassé du monde du travail, reclassée domestique au ras d’une way-of-life qui n'a d'américaine que l'étau du crédit, enfermée volontaire dans sa cellule aux barreaux
de pacotilles à renouveler régulièrement, elle ne s'autorise aucun dérapage de son quotidien d’esclave sinon ce serait le krach bancaire. Et puis le travail, ça occupe !

- Hein love, qu’est-ce qu’on ferait de tout ce temps libre ?


Ne dialoguant pas sur la substance, imperméable au discernement, esquivant l’effort intellectuel, la génération M6 somatise énormément. Bien qu’elle se plaigne de la dette causée par les services publics de santé, on la retrouve régulièrement (comme ses parents) en consultation dans les cabinets médicaux ou aux urgences des hôpitaux dès que son nez coule (c’est à dire deux fois par mois) à la quête semi-honteuse de cet arrêt maladie qui lui permettrait de passer ses après-midi chez elle à mater Delarue sur le Plasma en bouffant des chipsters. Toujours là pour éponger les queues de tendances, elle attrape tout ce qui traîne, virus et autres gastro-entérites à diarrhées carabinées dont elle fait connaitre à son entourage, fréquence et consistance, avec force SMS (- Mais après 20h parce que tu comprends, entre 20 et 21 heures c’est illimité les textos sur mon forfait optimum-totale-liberté).

De formation souvent commerciale, visant des métiers aux intitulés abscons dont les fonctions lui sont ardues à définir mais que l’on peut souvent résumer à comment vais-je plumer mon connard d’interlocuteur pour me faire bien voir auprès de mon chef que je méprise
? elle est ouvertement inculte et le revendique via une sous-culture à base de références audiovisuelles de moins de 6 mois. Attention, si vous habitez dans une zone où elle est majoritaire, ne laissez pas filtrer que vous ne possédez pas de télévision ou que votre poste est encore cathodique, on ne peut présager de réactions qui pourraient être violentes. L'exclusion du camp de consommation pourrait être prononcée et vous seriez l’objet des quolibets de sa marmaille, encore plus matérialiste.

Comme ses modèles, les riches et les célèbres, la génération M6 se mélange peu avec les autres classes. La vie du riche lui est inaccessible autrement que par les produits qui simulent la fortune. Quant au monde des pauvres, c’est son repoussoir ultime. En temps de crise, ça l’incite à encore plus travailler, et pour moins payé s’il le faut.

Le revenu net mensuel est un facteur déterminant dans toute relation sentimentale durable entre deux individus de la génération M6. Les exigences financières sont draconiennes : Faut au moins que l’être aimé gagne 1300 euros mensuel sinon ce n’est pas la peine de venir roucouler sous sa marquise Leroy-Malin (c'est très M6). Intraitable loi à l’image de celles des parcs d’attraction où elle se rend en pèlerinage deux fois par an : En dessous d’une certaine taille, pas d'accès au tourbillon hédoniste des jouissances Made-in-China.

Fonctionnant sur le mode binaire, les illusions taillées au sécateur par les raccourcis d'une chaîne qui ne tolère pas l’erreur (le mauve c’est bien, faut trier ses déchets, manger des fruits et pas violer ses enfants), il m’est arrivé de partager certaines de ces soirées festives (en réponse à l’ennui, tout chez elle est prétexte à fête) et d’accéder à un niveau de vide rarement côtoyé ailleurs que dans les films de Luc Besson. Dans ces moments d’extrême solitude, j’ai touché le néant et je peux l’affirmer : Il n’y a pas de vie après la mort cérébrale. Dans ce genre de parties plates où le lisse s’étale par barils de connivences, pas une idée, pas un concept, pas même une opinion sur laquelle je puisse m'énerver. Pas d’humour non plus, enfin autrement que par un festival de citations à l’intonation exacte, des dialogues de Christian Clavier dans les comédies "cultes" du Splendid ou des spectacles de ses comiques favoris, ceux qui au nom d'une promotion garantie sans dérapages, ont expurgé de leur champ du drôle toute référence contestataire, sociale et politique.

J'arrête ici ma description non-exhaustive de cette force anti-révolutionnaire tapie dans la lumière vario-climatisée de ses espaces de vie parfumés à la cannelle et au citron vert, tant il y aurait sujet à chapitres et il faut que je m'en garde pour un prochain ouvrage.
Pour conclure provisoirement, si l’on doit résumer à un seul le critère de reconnaissance d’appartenance à la génération M6, ce sera le conformisme. Insensible à l'injustice, sans véhémence contre sa classe dirigeante, bien au contraire, résolue au marché et comptant ses coupons de réductions, elle est la preuve en chair et neurones que la vieillesse n’attend pas le nombre des années.
- La révolution ? Hein ? Pas jeudi, y a "Nouvelle star".

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