11 avril 2008

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SORTIR DE LA MATRICE, QUELQUES PISTES

Des courriels de jeunes lecteurs, de plus en plus nombreux - merci ;) -, me demandant comment l’individu peut changer les choses ? Comment peut-il rester en-dehors du moule salario-mercantile tout en subvenant à ses besoins ? Comment « sortir de la matrice » ? Vaste débat sur lequel je ne m’appesantirai pas en recettes bien conscient qu’il y a autant de moyens que de situations personnelles. Je répondrais donc en substance sur la base de mon cas personnel en espérant qu’il contribue à dissiper des angoisses bien légitimes à cet âge.

J’ai trente-six ans et au regard du salarié lambda, j’ai finalement très peu travaillé dans ma vie. Quand je l’ai fais, c’était en pleine connaissance de cause, de ma seule volonté, parce que le travail en question me plaisait ou alors qu’il était grassement rémunéré, et n’était donc pas, dans le sens étymologique premier, un travail.

On le voit, le travail pour moi se pose en terme de conditions - qui vont à contrario du modèle dominant (faisant règner l'angoisse) :

1 / Il faut que cela me passionne. Ce qui m’amène parfois, de moins en moins, à travailler gratuitement, ce que je déconseille lorsqu’il s’agit de sociétés. (Spéciale dédicace à nos amis stagiaires, éternelles victimes de leur soif d’intégration professionnelle.)

2 / A défaut, si cela ne me passionne pas particulièrement, il faut que le travail ce soit extrêmement bien rémunéré.

3 / l’idéal est d’allier les deux. On constatera que, passé un certain niveau de connexion – que j'ai parfois – cela devient de plus en plus facile et que le plaisir de la tâche est proportionnel à la rémunération. Constation : on reconnait un travail chiant à ce qu'il est souvent mal payé alors qu’un travail accompli avec joie est souvent trop bien payé.

N’aimant ni les églises ni la routine pas plus que le contact prolongé en immersion avec les autres et savourant bien trop mon indépendance, j’ai très tôt considéré le travail comme une longue douleur.

C’est peut-être pathologique, le fruit d’une névrose asociale quelconque mais j’ai toujours su que le travail tel que la société me le présentait serait impossible pour moi. Certes, j’ai eu quelques crises de dix-huit à vingt-deux ans, tiraillé que j’étais entre ma volonté propre sur laquelle je ne savais pas mettre les mots et les commandements culpabilisants et répétés de la société, des institutions, des parents et de la télévision quant au rôle social que je me « devais » d’avoir au sein de la collectivité : avoir un « job ».

J’ai donc tenté de m’insérer parce qu’il n’y avait soi-disant, rien d’autre à faire, en me disant que peut-être cela finirait par me plaire, vu que ça satisfaisait les autres. Même si la phrase suivante à le goût du sarkozysme ça n’en est pas, c’est même tout le contraire : J’ai travaillé plusieurs années au plus bas de l’échelle. J’ai été caissier en supermarché, puis ouvrier dans une imprimerie, puis illustrateur avant de m’engluer deux ans au service communication d’une grande compagnie d’assurance. J’ai assez diversifié mes postes au sein de petites et de très grosses entreprises dans des secteurs variés pour avoir un bon aperçu du spectre professionnel et de ses intervenants, du syndicaliste de base au Pdg de Cac 40.

Qu’ai-je appris ?

Bien que je ne crois pas aux races, je constate qu’il y a un nombre majoritaire de gens, et ce quels que soient leurs revenus, à qui ce système convient comme un gant : leur trait commun est un manque d'imagination parfaitement assumé, ce sont parfois des médiocres qui inconsciemment voient dans leur soumission au monde du travail, la condition de leur survie physique et spirituelle. Que feraient-ils sans travail ? est une perspective inconcevable dont la simple évocation les plonge dans un chaos existentiel les rendant malheureux. On les reconnaît à ce qu’ils s’identifient souvent à leurs entreprises lâchant à la moindre conversation des "nous" au sujet de leur emploi. Ex : "Nous allons ouvrir une nouvelle usine à Macao" alors que le locuteur salarié est un anonyme secrétaire de direction adjointe au deuxième sous-sol de la holding.

Il existe une catégorie de salariés, plus déprimés,
qui se soumettent au moule tout en se déclarant chroniquement insatisfaits. En grattant un peu, on s’aperçoit que l’argent est une excuse au travail et qu’il n’y a pas de prédisposition génétique à la soumission chez eux mais qu’il sont les victimes d’une prégnance comportementale. Comment faire pour changer sa vie quand depuis trente ans, la famille et le consensus ont systématiquement foulé de leurs bottes toute idée d’alternative ? On reconnaît ces salariés à ce que, malgré leurs plaintes répétées et alors que rien ne les oblige, ils acceptent souvent heures supplémentaires et surplus de responsabilités pour la même rémunération.

Existe une autre catégorie de gens soumis au travail pouvant regrouper les trois catégories ci-dessus, mais qui sont avant tout soumis au modèle consumériste. Ceux-la travaillent éternellement pour rembourser au quotidien un train de vie en rapport à la classe sociale juste au-dessus d’eux et à laquelle ils meurent d'envie qu'on les identifie. Cette motivation est suffisante pour qu'ils subissent toutes les humiliations. Ils sont généralement propriétaires endettés, vivent dans l’abondance de biens de consommation, la télévision occupe un rôle prépondérant dans leurs vies. On les appelle bien vite « les classes moyennes ». A terme, la classe moyenne ne produit rien, si ce n’est de la TVA. Elle est le rêve de tout pouvoir, en ce sens qu’elle opère elle-même, mollement, sa propre répression. Il faut juste régulièrement l’alimenter en concepts pré mâchés, en messages publicitaires et en nouveaux articles divertissants. Elle prospère sur un manque d’éducation, carbure à la recherche de la jouissance perpétuelle mais ne vit en permanence que la frustration de « ne pas avoir plus » d'où le piège du "pouvoir d’achat" dans lequel est tombé notre monarque. Cette catégorie est la plus irrécupérable. On la reconnaît dans le monde de l’entreprise à ce que rien ni personne ne peut l’influencer. Il est vrai qu’entre les emplois du temps familiaux, professionnels et de divertissement, les parents de cette catégorie de salariés en question font objectivement tout pour ne pas avoir le temps de réfléchir à leur condition. On les reconnaît d’ailleurs au niveau domestique à ce que souvent ils ont des problèmes avec leurs enfants adolescents se cognant revêches à ce modèle véhiculé de pleutre compromis, dénué de toute transcendance, exclusivement soucieux du mercantile.

Pour en revenir à moi, je me qualifierais donc d’indépendant. Je n’en tire aucune gloire, un confort minime mais suffisant et cela m’a plus souvent apporté des emmerdes qu’autre chose. Je ne peux simplement pas être quelqu’un d’autre que moi. J’ai mis quelques années à m’accepter et à m’adapter à mon environnement avec les moyens et les opportunités propre à ma situation. Je dirais bien que quand on veut s’extraire du moule, on peut, surtout dans les sociétés occidentales qui, pour le moment, n’ont jamais été aussi libres pour l’individu mais où la majorité de ceux-ci gens s’évertuent à croire, parce qu’on leur martèle depuis un siècle, qu’il n’y a aucune autre possibilité qu’une « économie de marché basée sur leur asservissement salarié ». L’important est d’être conscient des causes et des conséquences de son attitude « marginale ». d’être conscient aussi que c’est illusoire de s’affranchir totalement du moule ambiant. Il a contribué à faire ce que nous sommes. Il en va de même de la survie du « marginal » d’identifier et de se rapprocher d’autres comme lui. L’intelligence est dans l’adaptation à son environnement, la plénitude se savoure dans le respect de ses ambitions, l’épanouissement s’expérimente dans les limites des humiliations que l’on est prêt à endurer. Et pour moi, le bonheur se déguste dans l’alternative.

Pour ma part, je travaille en mercenaire de temps à autre, quand cela me plait et dans les conditions énoncées ci-dessus. Je n’ai strictement aucun désir de nouveauté matérielle. La totalité de mes possessions doit s’élever à 3000 euros et peut tenir dans le coffre d’une voiture que je n’ai pas. Je pense beaucoup à demain mais pas pour moi, à vrai dire je ne m’y vois pas. Si j’y suis tant mieux, j’espère y être encore en bonne santé : ça j’y travaille au quotidien. Le reste du temps, je me félicite d’apprécier le présent. On me parle de « retraite », de « placements », de « prévoyance », de « compétition ». Je réponds « moment présent », « bonheur immédiat tant que ça dure » et « solidarité ». Sofinco m’envoie chaque semaine des prospectus pour me persuader que « la vie a parfois besoin d’un crédit », je barre le message au Stabilo et leur renvoie que « la vie entière n’est qu’un crédit sur le néant ».

6 comments:

Anonyme a dit…

J'approuve ton choix d'indépendance.
Seulement comment peux-tu payer ton loyer à la fin du mois ?
Deux problèmes se posent :
- ou bien tu es déjà propriétaire auquel cas çà va
- ou alors il te faut quand même un revenu minimum pour le payer

Anonyme a dit…

J'ai toujours réussi à concilier boulot plaisant et salaire, mais j'ai la chance d'être un geek.
Pour changer le système, jeune naÏf que j'étais, j'ai cru au syndicalisme, m'imaginant pouvoir bouleverser la donne de l'intérieur. En fait, au quotidien, à part accompagner les politiques patronales en servant de tampons pour que les salariés ne souffrent pas trop, ça ne sert à rien. J'en part, progressivement

Pour les jeunes qui ont encore des illusions, je leur propose un livre intéressant : la zone du dehors, d'Alain Damasio, à discuter

Seb Musset a dit…

A Labibe > Chacun a son cas personnel. Je ne suis pas propriétaire (ne pas croire qu'être propriétaire t'exonère de payer un loyer, bien au contraire). La part du loyer est conséquente dans mes revenus. Disons que je vis depuis 10 ans avec 3 mois d'avance. Parfois 6 les bonnes années. Le fait d'être en couple aussi, même si ce n'est pas prévu pour cela, aide ou au moins sécurise.

Anonyme a dit…

C'est la seule façon de ne pas passer a coté de sa vie .
Tu aimes Palahniuk ?
Sans être indiscret, j'aimerais savoir comment ta chérie gère ton choix de vie et si vous avez des enfants .

Voili, et bonne continuation

Seb Musset a dit…

A Antoine > Non je n'ai pas d'enfants. Pour + d'infos (cf mon livre qui traite en grande partie traite de cela.)

Concernant la gestion de mon choix par "l'aimée". Disons que je vis avec elle depuis 14 ans que nous nous sommes connus alors que nous n'avions pas un radis ni l'un ni l'autre et que je n'ai jamais caché ce que j'étais, un feignant qui, comme tous les feignants, est capable parfois de beaucoup travailler. J'ai souvent gagné plus qu'elle, cela m'arrive encore parfois, et généralement quand j'ai de l'argent, je ne le garde pas pour moi. Je ne dirais pas que l'argent n'est pas un problème, par contre ce n'est juste pas un sujet de discordes dans "mon foyer". Quant au "choix de vie" en lui-même, ça n'en est pas vraiment un : je reste juste fidèle à ma personnalité.
Attention, Je n'ai rien contre le travail en tant que tel mais quarante de ans de salariat "formaté" suivant un cursus éducatif décérébrant ce n'est juste pas pour moi. Je pense que je ne suis pas le seul dans ce cas. Plus rares sont ceux qui vont, ou peuvent, aller au bout de leur ressenti. C'est une des raisons des maladies nerveuses qui gangrènent les sociétés occidentales.

Pour Palahniuk, à part l'adaptation de "Fight Club" qui ne m'a pas plus emballé que cela, j'avoue que je connais peu.

Anonyme a dit…

Merci pour cette réponse. J'ai 22 ans , et j'aimerais pouvoir "errer" ainsi plus tard et je me pose pas mal de question au sujet de la famille , des enfants , conventions ultimes qui obligent a un minimum d'assimilation. Surtout que ma cherie est plutôt du genre a rêver piscine , enfin, c'est pas la seule.J'espère qu'elle continuera a me comprendre et qu'elle me suivra a l'image de la tienne.Si ton livre parle de ça, je fonce .
Merci

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